Ondes de choc

Tout nu devant le miroir

Deux petites nouvelles; deux petits entrefilets de presque rien, qu’on pouvait retrouver dans les pages de nos quotidiens, ces derniers jours.
Première nouvelle: l’éditeur Marc-André Guérin pique une crise contre le Salon du livre de Montréal. Exaspéré par l’omniprésence de la littérature française au SLM, Guérin demande à ses confrères de se joindre à lui pour fonder un autre Salon du livre, qui serait exclusivement consacré à la littérature canadienne-française.

Seconde nouvelle: le Fonds canadien de télévision (l’ex-Fonds des câblos qui, l’an dernier, a investi 177 millions de dollars dans la production de 330 émissions de télé et de 17 longs métrages) ne subventionnera désormais que les projets qui «adoptent une perspective canadienne», et qui «s’inspirent de thèmes, d’histoires et d’événements canadiens».

Vous voulez produire une vignette ronflante sur le sirop d’érable, que personne ne regardera? Vous pourrez vous inscrire au Fonds canadien de la télévision. Vous voulez produire un documentaire de trois heures sur l’extradition de Pinochet ou sur les massacres au Rwanda, qui passionnera les gens du monde entier? Ne prenez même pas la peine de monter un dossier, votre demande sera rejetée.

Deux nouvelles, deux façons complètement débiles d’envisager la culture.
On entend souvent dire que la «mondialisation de la culture» est un cliché; que ceux qui prônent l’ouverture sur le monde enfoncent des portes ouvertes à coups de massue en plomb. Eh bien, il semble que l’on n’ait pas répété ces «clichés» assez souvent.

Il reste encore des gens qui se bouchent les oreilles, les yeux et la bouche.

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Au moins, l’appel de monsieur Guérin de créer un Salon «ethno-politico-culturellement homogène» est tombé dans un vaste trou noir (un miracle, vu la propension de nos éditeurs à se crêper le chignon pour un Oui pour un Non).
On ne peut malheureusement en dire autant de la décision du Fonds canadien de la télévision. Là, on ne parle plus de vague suggestion farfelue: on parle de politique active.

L’establishment canadien est en train de devenir complètement dingo avec sa feuille d’érable.

Prenez le National Post, par exemple. Quand le p’tit bébé de Conrad Black a vu le jour, il y a quelques semaines, on pouvait voir une photo de l’astronaute américain John Glenn en première page. Or, plusieurs lecteurs se sont plaints aux directeurs du Post, parce qu’ils n’avaient pas consacré leur une à un héros canadian!

Et pendant ce temps-là, que disent les Diane Francis, David Frumm, Andrew Coyne et Mordecai Richler, qui ont tous une chronique dans le Post? Que les séparatistes québécois sont ethnocentriques!
Allôooooooo!?!

Parfois, on a l’impression que le Québec et le Canada sont en train de se croiser sur l’axe nationaliste. Les Québécois sont de moins en moins nationalistes; alors que les Canadiens le deviennent de plus en plus.
C’est comme si, le 30 octobre 1995, on leur avait refilé notre grippe. Depuis, ce sont eux qui éternuent et qui frissonnent au moindre coup de vent.

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Avant, le Canada était une entité floue. C’est ce qui faisait son charme. On ne savait pas ce qu’il était, mais on savait ce qu’il n’était pas: il n’était pas américain, il n’était pas pro-armes, il n’était pas hégémonique… Mais depuis quelques années, le Canada s’est mis en tête de devenir quelqu’un, d’avoir une identité béton, coulée dans le roc.

Il s’est donc mis à planter des drapeaux partout.

Vous vous rappelez le film Paris Texas? Le héros, qui a longtemps vécu dans le désert, apprend qu’il a un enfant. Mais il ne sait pas comment un père doit se comporter. Il s’habille donc comme il imagine que les papas s’habillent, en se disant que l’habit finira bien un jour par déteindre sur sa personnalité…
Eh bien, c’est l’histoire du Canada. Pendant longtemps, le Canada ne savait pas qu’il était le Canada. Il n’avait pas d’identité propre, et il s’en portrait très bien. Mais depuis quelques années, le Canada «freake». Il veut une identité. Mais laquelle? Il n’en a pas la moindre idée.

Alors il s’est foutu devant le miroir, et il s’est costumé en Canadien. Il s’est acheté des culottes de police montée, il s’est tatoué des feuilles d’érable un peu partout sur le corps, et il dit: «Hi! I’m a Canadian» à chaque personne qu’il croise.

Le Fonds canadiens de télévision, c’est ça: un costume cheap du Canada, vendu à 13,95 $ dans toutes les bonnes pharmacies.

Un drapeau rouge et blanc flottant sur le hood d’un truck.