Ondes de choc

Y’a les mots

Nous nous souvenons tous du célèbre «fascisme» de René-Daniel Dubois. Le mot-massue, le mot-matraque qui a fait saliver les micros.
Eh bien, il y a quelques jours, au bulletin d’infos, on pouvait entendre cette phrase:

«Les gens qui ont attendu leur avion à l’aéroport Pearson de Toronto ont vécu un véritable enfer.»

Pas un gros désagrément, pas une situation déplaisante, pas une épreuve ou un mauvais quart d’heure, non: l’enfer.

Comme dans: l’enfer rwandais, ou l’enfer algérien.

***

Cette semaine, on souligne le premier anniversaire de la tempête de verglas, le «Hiroshima» du Québec. C’est aussi la période de l’année où l’on prend de nouvelles résolutions. Que diriez-vous si on promettait tous ensemble d’y aller mollo avec les mots? De cesser d’appeler les chats des tigres? De mettre un peu moins de Viagra dans nos élans, et un peu plus de Valium?
Prenez le mot «néolibéral», par exemple. Ce mot est servi à toutes les sauces.

Mardi dernier, le président du Syndicat de la fonction publique du Québec, monsieur Serge Roy, lançait un coup de semonce à l’intention du gouvernement Bouchard, histoire de préparer les prochaines négociations du secteur public, qui devraient avoir lieu dans une ou deux semaines. «Si le gouvernement Bouchard refuse d’accorder des augmentations salariales allant de 11,5 à 16 % à nos membres, a-t-il dit en substance, il sombre tête première dans le néolibéralisme.»

Effectivement, les employés de l’État québécois sont moins payés que ceux du secteur privé (on parle d’un retard de 7,2 %). Ils ont fait leur part dans le processus d’assainissement des finances publiques.

Mais peut-on affirmer qu’ils sont les victimes du néolibéralisme sauvage? Peut-on parler d’exploitation?

Peut-on les mettre dans le même sac que les employés de McDo qui ne peuvent même pas se syndiquer, ou que les travailleurs autonomes qui sont pressés comme des citrons?

***

Autre terme hyper-galvaudé: le «bien commun».

Que de mal n’a-t-on pas fait au nom du «bien commun»!

C’est bien simple, tout le monde veut notre bien: les élus, les syndicats, les groupes de pression.

«On va construire de nouvelles lignes de haute tension pour le bien commun», «On va obliger les cyclistes à porter un casque pour le bien commun», «On va interdire la coloration de la margarine pour le bien commun»…

Si ça continue, on va essayer de nous faire croire que les pompiers percent les tuyaux d’arrosage pour le bien commun!

«Il est souhaitable que le nouveau gouvernement n’oublie pas ses responsabilités afin de faire prévaloir le bien commun et l’intérêt général», a dit le président du Syndicat de la fonction publique du Québec, en guise d’avertissement.

Voulez-vous bien me dire ce que le salaire des fonctionnaires a à faire avec le bien commun?

Un syndicat de fonctionnaires, ça se bat pour le bien et pour l’intérêt de ses membres, point. Lâchez-moi le bien commun et l’intérêt général!

n n n

En voulez-vous, des mots creux et surutilisés? En v’là: relève, révolution, enfant terrible, catastrophe, scandale, controverse, police («police de la langue»), mandat («la population nous a donné le mandat»), chef-d’ouvre, génie…

Autant d’expressions surfaites, qu’on sort pour faire peur aux enfants, ou pour essayer de nous convaincre qu’on vit dans une époque formidable…
Y a des expressions gonflées aux stéroïdes qui vous tapent sur les nerfs? Faites-les-nous parvenir par télécopieur ou par courriel, avec exemples à l’appui. On les publiera dans nos pages.

Ce sera notre modeste contribution à la lutte contre l’hystérie ambiante et la surenchère…

***

Parlant de la tempête de verglas…

On nous noie sous les hommages, les livres-souvenirs, les spéciaux télévisés, les dossiers, les témoignages…

Une idée, comme ça: pourquoi ne pas transformer le défunt Musée de l’humour en Musée de la tempête? On pourrait reconstituer un refuge pour sinistrés dans la salle principale, et inviter les gens à revivre cette période douloureuse de notre histoire, afin de ne jamais, jamais l’oublier.

Ça ne coûterait pas cher: pas d’électricité à payer, ni de chauffage.
On pourrait appeler ça le Temple de la solidarité. Ou la Cathédrale, tiens. Tant qu’à exagérer…