Ondes de choc

Chair de poule

«Les jeunes d’aujourd’hui sont les tireurs, les chasseurs et les compétiteurs enthousiastes de demain. Dans un monde de plus en plus urbain, les jeunes n’ont plus la chance de participer à des activités de tir. Pourtant, le tir est un sport excitant, qu’ils pourront exercer toute leur vie. Le tir apprend aux jeunes les vertus de la responsabilité et de l’autodiscipline, et leur permet d’aiguiser leur concentration tout en développant leur estime de soi. Contrairement à d’autres sports, le tir ne met pas l’accent sur la force, l’endurance ou la vitesse; il peut donc être pratiqué autant par des garçons que par des filles.»

Ce texte bucolique est disponible sur le site Internet de la National Rifle Association (http://www.nar.org), le plus important lobby d’armes à feu au monde.

Dirigée par Charlton Heston, le roi des films bibliques, la NRA regroupe des millions de tripeux de guns. Il y a quelques années, cette association, soucieuse de se bâtir une relève, a mis sur pied un programme «d’éducation» s’adressant aux jeunes. Sous couvert d’apprendre aux mineurs l’abc de la sécurité, ce programme sert en fait à recruter de futurs membres.

Le «volet jeunes» de la NRA organise toutes sortes d’activités: camps de tir pour toute la famille, ateliers de perfectionnement, tournois, rencontres. Il a aussi sa propre mascotte: Eddie Eagle, un aigle sympathique qui se promène aux quatre coins des États-Unis afin de propager la «bonne nouvelle»: à savoir que les armes à feu ne sont pas dangereuses lorsque maniées avec précaution.

Née en 1988, cette mascotte a, selon la NRA, été vue par plus de douze millions d’enfants. Le 10 octobre 1998, Eddie a participé à une émission de télé diffusée sur le câble à 16 h 30, en plein retour de l’école. Entouré d’enfants de six à douze ans, Eddie a pu parler à ses petits copains, à la maison, pendant une demi-heure. «Cette émission a été regardée par 354 000 personnes, de dire fièrement un membre de la NRA. C’était une super exposure!»

Si vous voulez, vous pouvez acheter des T-shirts, des plaques d’immatriculation, des affiches, des casquettes, des épinglettes, des autocollants, des jeux de cartes et même des bonbons à l’effigie du gentil Eddie Eagle. Vous n’avez qu’à signaler le 1-800-336-7402.

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Je sais, je sais: avec ce qui s’est passé en banlieue de Denver, vous vous dites qu’Eddie-la-volaille devrait être déplumé, huilé et embroché. Mais ne craignez rien: selon le département de recherches de la NRA, des drames comme celui qui s’est déroulé à Littleton, Colorado, sont «rarissimes».

«Chaque fois qu’un événement du genre arrive, affirme un communiqué de la NRA, les médias s’empressent de brosser un portrait alarmiste et grossissant de la violence dans les écoles. Or, la réalité n’est pas aussi effrayante qu’on le dit: seulement 2 % des écoles publiques sont équipées de détecteurs de métal, et les risques de mourir de façon violente dans une école sont de moins d’un pour un million.»

SEULEMENT 2 %. Vous voyez que vous vous faites du mauvais sang pour rien!
Y a-t-il un problème de violence, aux États-Unis? Noooon. Tout ça est une invention des médias. Au lieu de montrer des étudiants ensanglantés, la télé devrait plutôt nous faire partager la joie d’un bambin de huit ans qui tire sur des cannettes de bière en compagnie de son pôpa.

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Il y a quelques semaines, dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs, je suis allé rencontrer les membres d’un club de tir situé dans le sous-sol d’une école abandonnée, à Sorel. Des gens hyper-sympathiques. Maman, papa, les enfants, chacun avec son revolver, son fusil ou sa carabine à plombs. «C’est une activité comme une autre, qu’ils m’ont dit, tout sourire. Comme jouer aux quilles.»

C’est exactement ce qu’affirme la NRA. «Une arme à feu, c’est comme une piscine, peut-on lire sur leur site Internet. Quand on apprend aux jeunes à être prudents, il n’y a pas de problème. C’est quand on ne leur apprend pas les règles de sécurité qu’ils se noient…»
Question: Si les tueurs du Colorado s’étaient pointés à leur école avec une barboteuse, y aurait-il eu quinze morts?

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Du 30 avril au 2 mai, la NRA organise sa 128e rencontre annuelle. Il y aura une expo d’armes à feu, des séminaires, et même un déjeuner-prière, organisé par une association de sportifs chrétiens!
Devinez où se déroulera ce gros pow-wow? Croyez-le ou non: à Denver.
J’ai téléphoné à la NRA pour savoir si l’événement serait annulé. Le gars au bout du fil m’a dit Non. Il ne semblait même pas comprendre pourquoi je lui posais la question.

Après tout, c’est une belle ville, Denver, non?