Ondes de choc

À ce stade-ci

Ainsi, après avoir dit: «Non, non, non, non, non, non, non, cent fois non» aux Expos, Lucien Bouchard a fini par dire: «Bon, O.K., d’abord.»

Grâce à la générosité du premier ministre, le regroupement de gens d’affaires qui tentent de sauver Nos Z’amours pourront emprunter les cent millions de dollars nécessaires à la construction de leur nouveau stade. Les intérêts de ce prêt (sept à huit millions de dollars par année) seront payés par l’État québécois, via le budget du ministère du Tourisme.

En contrepartie, les Expos devront s’engager à rester ici pendant vingt ans.
Sortez vos calculatrices: huit millions de dollars multipliés par vingt, ça fait cent soixante millions.

Tout ça pour une équipe de pieds qui prévoit essuyer, en 1999, une perte nette de vingt millions de dollars.

Comme le disait un auditeur allumé à l’émission Le Midi Quinze, sur les ondes de CBF, la semaine dernière: «Pourquoi les billets des spectacles de Céline Dion s’envolent-ils en quelques heures? Parce qu’elle donne un bon show. Imaginez que les gens paient le gros prix, et que Céline donne un show minable, qu’elle chante mal, qu’elle soit distraite, distante… Croyez-vous que les gens se diraient: "Il faut lui payer un nouveau stade, la pauvre, ça va l’aider à mieux chanter?" Voyons! Le problème des Expos, ce n’est pas le Stade olympique: c’est leur piètre performance.»

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Le journaliste Neil de Mause est un fana de base-ball. Mais l’utilisation d’argent public pour construire des méga-stades l’inquiète. L’an dernier, avec la journaliste Joanna Cagan, il a publié un livre sur la question: Field of Schemes: How the great Stadium Swindle Turns Public Money into Private Profit (Common Courage Press). Pour lui, la subvention de stades sportifs est une aberration, un scandale qui ne sert strictement à rien, sauf à enrichir leurs propriétaires, qui sont déjà très fortunés, merci.

Prenez le fameux Sky Dome (les chiffres suivants proviennent d’un texte que Neil de Mause a publié dans le numéro de mars du magazine This).

Ce stade au toit rétractable devait enrichir la ville de Toronto et la province de l’Ontario. Sa construction a débuté en octobre 1985. Au début, cette «merveille architecturale» devait coûter 150 millions de dollars: 30 millions provenant de la Ville de Toronto; 30 millions du gouvernement ontarien, et le reste d’un consortium privé formé de 14 entreprises. Bref, un «modèle de partnership» entre le privé et le public.

Mais la facture s’est mise à grimper: 225 millions, 328, 383… Ne pouvant supporter le poids de ce mastodonte, le consortium a plié l’échine, et l’État ontarien est devenu actionnaire majoritaire du Sky Dome.

Le stade a finalement ouvert ses portes en juin 1989. Dix-sept mois plus tard, le ministre des Finances de l’Ontario annonçait que la dette du Sky Dome était hors de contrôle.

En mars 1994, l’Ontario a décidé de rembourser les dettes du Sky Dome (près de 400 millions de dollars), et de vendre ce stade maudit à un consortium privé pour 151 millions.

Perte pour les contribuables ontariens: 262,7 millions de dollars. Et cela, en pleine période de compressions budgétaires.

(Postface: Il y a quelques mois, les nouveaux propriétaires du SkyDome déclarèrent faillite, et les Blue Jays menacèrent de quitter Toronto si on ne leur donnait pas une couple de millions. L’Histoire se répète…)

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Selon de Mause, entre 1980 et 1990, les villes américaines ont investi plus de 1,5 milliard de dollars dans la construction ou la rénovation de méga-stades. Tout ce que cela a donné, c’est de décupler la valeur des équipes de base-ball, de football ou de hockey qui logeaient dans ces méga-stades – donc, d’enrichir leurs propriétaires et leurs athlètes multimillionnaires. Les contribuables, eux, en sont toujours sortis perdants…

Retombées économiques minimes. Création d’emplois négligeable. Augmentation du tourisme quasi inexistante. Et hausse spectaculaire des prix du billet.
Youpi.

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Il y a quelque temps, les propriétaires des Twins du Minnesota (une équipe de base-ball) faisaient du lobby pour obtenir un nouveau stade. Afin de sensibiliser le bon peuple à leur cause, ils ont enregistré une pub télé montrant Marty Cordova, la vedette de l’équipe, rendant visite à un petit cancéreux de huit ans.
«Si les Twins avaient quitté le Minnesota, ce garçon, qui suit un traitement de chimio, n’aurait jamais reçu la visite de Marty Cordova», disait le narrateur.
Or, après enquête, on a découvert que le petit garçon était déjà mort quand la pub a été diffusée à la télé. Oups.

Subventionner une équipe de base-ball pour guérir le cancer.

Tiens, ils n’ont pas pensé à ça, les Expos…