Cette semaine, Lucien Bouchard a pogné les nerfs.
Vous me direz que c’est pas nouveau: l’homme fait plus de montées de lait que la bonne femme du Texas qui a accouché de huit enfants.
Mais cette fois, il est monté sur ses grands chevaux pour se porter à la défense du modèle québécois. «La bataille enclenchée contre le modèle québécois, c’est une bataille contre l’identité québécoise», a-t-il dit, en référence aux propos de Jean Charest qui affirmait que le temps était venu de redéfinir notre sacro-saint modèle. «Une offensive pour nous convaincre de dissoudre notre identité dans le grand bain canadien.»
Il a beau être soupe au lait, notre premier ministre a raison. Il ne faut pas toucher au modèle québécois. Après tout, ledit modèle a fait ses preuves, il nous a permis de nous rendre là où nous sommes. On n’a qu’à voir les chiffres:
* Au Québec, nous avons le plus haut taux d’imposition en Amérique du Nord. Selon le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, les Québécois célibataires qui gagnent entre 20 000 $ et 100 000 $ paient de 1300 $ à 7000 $ de plus en taxes que tout autre célibataire des autres provinces canadiennes.
* Un Québécois sur cinq vit dans la pauvreté.
* Notre système de santé est tellement déglingué qu’on doit envoyer nos cancéreux se faire soigner aux États-Unis.
* 21 % des Québécois ont moins d’une neuvième année (comparativement à 12 % en Ontario).
* Le Québec occupe le septième rang au pays pour ce qui est de la scolarisation.
* Le Québec dépense moins en matière de santé que les autres provinces canadiennes, et compte moins de lits d’hôpitaux par rapport à la population.
* En 1998-1999, le Québec a consacré 2100 $ à l’éducation per capita _ 200 $ de moins que l’Ontario, et moins que la plupart des autres provinces canadiennes.
* Notre bureaucratie est plus lourde que dans n’importe quelle autre région au Canada. On compte un fonctionnaire par douze habitants.
* On se fout tellement de la santé que les médecins spécialistes ne rêvent que d’une chose: tirer leur révérence, et aller gagner leur vie ailleurs.
* En mai 1999, le taux de chômage au Québec était de 9,9 % (contre 8,4 % en Colombie-Britannique, 7 % en Ontario, 6,3 % en Alberta et 5,4 % au Manitoba).
* En mai 1999, la rémunération hebdomadaire moyenne des Québécois était de 565,68 $ (contre 644,95 $ en Ontario, 624,17 $ en Colombie-Britannique, et 621,08 $ en Alberta).
* En 1995, 23,4 % des familles québécoises étaient à faible revenu (contre 19,6 % en Colombie-Britannique, 18,4 % en Alberta et 17,7 % en Ontario).
Non, vraiment, je regarde ces chiffres-là, et je me dis: «Ne touchez pas au modèle québécois! C’est notre modèle, c’est nous qui l’avons développé et nous allons le garder, parce qu’il est fait ici, par des gens d’ici!»
Qu’importe s’il nous mène directement dans le trou. Au moins, ça sera notre trou à nous. Creusé dans notre terreau. Avec notre argent.
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Parlant de trou, avez-vous entendu le démographe Jacques Henripin, la semaine dernière, au Point?
Bernard Drainville, l’excellent journaliste de Radio-Canada, nous présentait un reportage sur la baisse de natalité des Québécois francophones de souche. Ça nous a valu quelques perles de la part de notre démographe nationaleux. Genre:
«Ce qui m’étonne, c’est le peu de souci des hypernationalistes à l’égard de la fécondité, de la permanence de ces chers Québécois de souche. Ils sont en train de préparer un pays pour les descendants de gens qui vivent en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud. Je ne vois pas à quoi ça rime. Si l’on veut préserver la culture québécoise, c’est pour assurer la permanence de ce qui existe déjà. Or, si on ne fait pas d’enfants, il n’y en aura pas, de permanence.»
Et aussi: «Ce serait dommage qu’après que nos ancêtres eurent fait tant d’effort pour se maintenir, on leur dise: "C’est ben beau, ce que vous avez fait, mais bye-bye, on ne poursuit pas, on arrête. Merci quand même.»
Il vit où, lui? Depuis quand fait-on des enfants pour «assurer la permanence de la culture» et «continuer le combat de nos ancêtres»?
Voyons donc!!!
Quant à la mythique revanche des berceaux, lâchez-moi. Si les familles avaient dix-huit enfants, autrefois, c’est pas parce qu’elles voulaient battre les Anglais. C’est parce que les francophones vivaient dans l’ignorance, et qu’ils n’osaient pas «empêcher la famille» de peur de faire de la peine au Ti-Jésus.
Le bonhomme passait huit mois aux champs, revenait à la maison et engrossait sa femme.
Y a rien de bien édifiant là-dedans.