Ondes de choc

Traitement de canal

Vous connaissez Arte? Il s’agit d’une chaîne culturelle née d’un partenariat entre la France et l’Allemagne. Cette station de télé, qui a vu le jour à la fin des années 80, travaille en collaboration avec d’autres télévisions publiques européennes, comme RTBF en Belgique, Idée Suisse en Suisse, TVE en Espagne, TVP en Pologne, ORF en Autriche, la RAI en Italie et TV1 en Finlande.

Sa programmation est tout simplement extraordinaire.

Si on vivait en France, voici ce que l’on pourrait regarder sur Arte:

* Lire Tintin avec Michel Serres, un documentaire d’une demi-heure dans lequel le célèbre philosophe nous fait pénétrer dans l’univers de Hergé;

* Des entretiens avec l’écrivain américain Norman Mailer, le cinéaste japonais Nagisa Oshima, le sociologue français Edgar Morin, l’écrivain espagnol Jorge Semprun;

* Un portrait du cinéaste Patrice Chéreau;

* Des documentaires sur Le Corbusier, Frank Lloyd Wright, Nina Simone, Paul Gauguin, Voltaire, Vaclav Havel, Georges Méliès, Cézanne, Zola, Proust, Chagall, Miles Davis, Hugo Pratt;

* Des courts métrages inédits de Jim Jarmusch et d’Alain Cavalier;

* Des soirées-thématiques traitant d’une foule de sujets comme le cinéma japonais, le nouveau roman, l’avant-garde russe, la Révolution française et l’architecture moderne;

* Palettes, une série de quarante et un épisodes nous racontant la petite histoire des tableaux les plus importants du siècle;

* La Légende des sciences, une série philosophique écrite et présentée par Michel Serres;

* L’Île des enfants, un documentaire de Laure Adler sur un service de réanimation infantile;

Etc., etc.

Le mois dernier, Radio-Canada a présenté au CRTC un projet de chaîne culturelle en collaboration avec Arte. Cela nous aurait permis de voir plusieurs de ces productions, de même que des documents faits ici.
Mais le CRTC a refusé le projet, préférant donner le feu vert à quatre autres canaux spécialisés: le Canal histoire, le Canal fiction (consacré aux dramatiques d’hier et d’aujourd’hui), le Canal Z (qui s’intéressera à la science-fiction et au paranormal) et le Canal évasion (sur les voyages, le tourisme et l’aventure).

On aurait pu voir des documents artistiques de grande valeur; on va se taper des reprises de Cormoran et de Perdus dans l’espace.

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«Le système canadien de radiodiffusion devrait servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada», dit la loi sur la radiodiffusion canadienne.
Quel canal spécialisé est le plus susceptible d’enrichir la structure culturelle du Canada, selon vous: le Canal évasion ou le Réseau des arts?

Pour les bonzes du CRTC, il n’y a pas de doute: c’est le Canal évasion.

Vous me direz que Télé-Québec diffuse déjà un certain nombre de documents qui ont été présentés sur les ondes d’Arte, comme l’excellente série Les Cent Photos du siècle; que Musimax donne dans le classique et le world beat; que Canal D et TV5 présentent parfois des documentaires de bonne qualité.

N’empêche…

Avait-on vraiment besoin d’un canal sur le tourisme?

Et puis, entre vous et moi, on peut bien avoir deux ou trois canaux à vocation culturelle, non? C’est quand même pas le Pérou!

D’un côté, on réduit les budgets de Radio-Canada, l’obligeant à se tourner vers les commanditaires pour garnir ses coffres. De l’autre, on déplore le «tournant commercial» de la station, et on lui refuse son projet de Réseau des arts, sous prétexte qu’elle n’a pas besoin de créer une chaîne «ghetto» pour diffuser des documentaires culturels!

Bonjour l’hypocrisie!

Plus on sabre dans les budgets de Radio-Canada, plus on la rend dépendante des cotes d’écoute. Plus elle est dépendante des cotes d’écoute, moins elle peut se permettre de diffuser des émissions «pointues», et plus elle s’éloigne de son mandat original. Ce n’est pas sorcier!

Le Réseau des arts, ce n’était pas un luxe ou un caprice: c’était une façon, pour Radio-Canada, de remplir une partie de son mandat, qu’elle ne peut plus remplir dans les conditions actuelles. Malheureusement, au lieu de lui donner les outils nécessaires à son développement, le CRTC lui a tiré le tapis sous les pieds.

On voudrait tuer la télé publique qu’on ne s’y prendrait pas autrement.