Ondes de choc

Klaxonnez si vous êtes écourés

«J’ai un immense respect pour la qualité des soins que nous avons, pour le caractère professionnel des services qui nous sont donnés. Il faut rester conscients que le système de soins de santé est une grande réussite et un sujet de fierté pour tous.»
– Lucien Bouchard, Le Soleil, 20 février 1995

Le matin en me rendant au bureau, et le soir en retournant chez moi, je passe devant deux hôpitaux: l’Hôtel-Dieu et le Royal-Vic.

Chaque fois, je vois des infirmières qui font du piquetage. Et chaque fois, j’entends des automobilistes qui klaxonnent.

Les journaux ont beau écrire que l’appui de la population diminue, je ne le remarque pas. Le bruit des klaxons est toujours aussi strident. Et les infirmières sont toujours aussi énergiques.

Pourquoi les gens sont-ils tellement sympathiques à l’endroit des infirmières?

Parce que tout le monde a une tante, une sour ou une cousine qui travaille dans un hôpital. Parce que tout le monde a, un jour ou l’autre, été soigné par une infirmière compétente, souriante et patiente.

Mais, surtout, parce que tout le monde en a ras le bol.

Ras le bol de l’improvisation du gouvernement en matière de santé. Ras le bol des compressions. Ras le bol de voir que ce sont toujours les mêmes qui paient.

Les coups de klaxon devant les hôpitaux, ce n’est pas seulement un geste d’appui envers les infirmières: c’est un cri de protestation contre le système, un système sens dessus dessous qui avance à tâtons, et qui ne sait plus reconnaître les vraies priorités.

Un système prêt à engloutir des milliards de dollars dans des compagnies de haute technologie qui risquent de déménager, de fermer leurs portes ou d’être avalées par des corporations étrangères dans dix ans, mais qui sabre dans l’éducation et la santé.

Un gouvernement qui menace des citoyens, contourne des lois et bâillonne le processus démocratique pour construire des lignes hydroélectriques, puis qui joue les vierges offensées lorsque des infirmières sous-payées refusent de respecter une loi spéciale votée en catimini pour les casser.

Un système qui nous taxe au max, mais qui nous offre de moins en moins de services.

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Avez-vous déjà essayé de mettre un drap contour double sur un matelas king?

Eh bien, c’est exactement ce que le gouvernement Bouchard a tenté de faire avec le système de santé. La réforme Rochon, c’était ça: essayer d’entrer un super gros matelas (le secteur public) dans un petit drap contour (la guerre au déficit).

Au début, ça va bien: vous sautez sur le lit, vous étirez le drap, vous entrez un coin du matelas de force… Avec un peu de chance, vous pouvez même entrer un deuxième coin. Mais vous avez beau forcer et suer et demander à votre beau-frère de quatre cents livres de s’allonger de tout son long sur votre matelas, vous n’arriverez jamais à tout engouffrer. Il y aura toujours un coin qui va finir par sortir.
Ce coin, ce sont les infirmières.

Les infirmières sont au front. Ce sont elles qui ramassent la merde quand le système flanche. La réforme, pour elles, ce n’est pas un exercice théorique: c’est la réalité quotidienne.
C’est la théorie du chaos appliquée au milieu de la santé: chaque fois qu’un bureaucrate bien intentionné se fait aller le crayon au dixième étage d’un édifice à bureaux sur Grande-Allée à Québec, une infirmière du Royal-Vic ou de l’Hôtel-Dieu encaisse le coup.
Et elle doit l’encaisser avec le sourire, s’il vous plaît, car elle a des malades à soigner, à torcher et à réconforter.

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La ministre Pauline Marois dit que les infirmières doivent retourner au travail car le gouvernement a déjà répondu à la majorité de leurs demandes (celles concernant la précarité des emplois, le fardeau des tâches et les horaires de travail).

Mais pourquoi le gouvernement a-t-il décidé d’écouter les infirmières? Parce qu’elles sont sorties dans la rue, voyons! Si elles avaient continué à travailler en silence, le gouvernement n’aurait rien fait!

Qu’est-ce qu’on dit, déjà, dans le milieu de la santé? Ah oui: «Mieux vaut prévenir que guérir.»

Eh bien, le gouvernement n’a pas prévenu. Il a attendu que le système tombe malade et vomisse sur le plancher pour lui donner du Gravol.

Reste à savoir qui va nettoyer les dégâts.

Quelque chose me dit que ce ne seront pas les infirmières…