Ondes de choc

Les volcans trop tranquilles

Vous souvenez-vous de l’époque où la violence était causée par des déviants? C’était soit des bandits, soit des maniaques. Les gars avaient le mot «récidiviste» étampé dans le front. Juste à voir leur photo dans le journal, on savait qu’ils avaient un casier judiciaire long comme la rue Notre-Dame.
Aujourd’hui, le mal est l’affaire de tout un chacun.

Des élèves «ben beaux, ben fins». Des pères de famille respectables. Des yuppies en complet-cravate. «Jamais j’aurais cru ça. C’était un gars discret, tranquille. Il ne dérangeait personne, nous saluait poliment quand il sortait les poubelles.»

Tous les trois jours, on voit la même manchette à la une des journaux:
«Un homme tue sa femme et ses filles, puis s’enlève la vie.»
«Un forcené abat son ex-épouse.»

«Deux adolescents ouvrent le feu dans une classe.»

«Un courtier assassine trois collègues de travail, et retourne l’arme contre lui.»

C’est comme les films de science-fiction. Dans les années 60, les bibittes avaient l’air de bibittes: des antennes, des yeux globuleux, des pinces de homard à la place des mains. Chaque fois qu’elles apparaissaient à l’écran, les violons grimpaient de trois octaves. Mais depuis les années 70, les bibittes ressemblent à n’importe qui. Elles se fondent dans le décor, prennent une apparence humaine. Qui est infecté, dans Alien? On ne le sait pas. Peut-être le capitaine du vaisseau, peut-être son lieutenant. Dans le film d’horreur moderne, le mal est partout. Père dans The Shining. Psychiatre dans Silence of the Lambs. Nanny dans The Guardian. Bonjour la paranoïa.

Comme le dit la bande-annonce du film Arlington Road: «Craignez votre voisin.»

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Mais qu’est-ce qui peut pousser des individus qui ont toujours vécu dans le respect des lois à se transformer soudainement en Terminator?

Pour certaines personnes, la réponse est claire: la violence appelle la violence. «Nous sommes trop tolérants envers les manifestations d’agressivité, disent-elles. On devrait réprimer toute forme de violence, interdire toute manifestation de colère, tendre vers une société pacifique, harmonieuse, féminine.»

Mais d’autres spécialistes pensent le contraire. Selon eux, le problème, ce n’est pas qu’il y ait trop d’agressivité dans notre vie quotidienne: c’est qu’il n’y en a pas assez!

C’est, entre autres, l’opinion de Guy Corneau.

Dans Père manquant, fils manqué, le psychanalyste québécois consacre un chapitre à l’agressivité réprimée.

«Il y a quelque chose d’impulsif dans le système de l’homme, écrit-il. L’homme a besoin de faire circuler son adrénaline. Il faut que ça sorte! Lorsque des parents trop autoritaires ne peuvent tolérer la colère d’un enfant ou l’expression de son agressivité, le fils refoule ce dynamisme brut. Comme cette énergie devra sortir d’une façon ou d’une autre, elle empruntera alors quelques-uns des canaux suivants:

1) L’agressivité est retournée vers l’intérieur et devient haine de soi (ce qui peut mener au suicide et à la dépression);

2) L’agressivité refoulée se trouve un bouc émissaire (ce qui peut conduire au racisme ou à l’homophobie);

3) L’agressivité réprimée peut être transformée en culte de l’oppresseur (fascisme);

4) L’agressivité est érotisée (fantasmes sadomasochistes).»

Pour Corneau, la meilleure façon de créer des monstres est d’obliger les jeunes garçons à réprimer leur agressivité naturelle. Pas de chamaillage dans la cour d’école. Pas de jeux vidéo violents. Pas de compétition. Pas de fusils en plastique. Pas de corrida.
Les élever dans la ouate et la dentelle.

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Chaque fois qu’un bonhomme explose, on voit toujours les mêmes images au bulletin de nouvelles: l’ambulance, les photos des victimes, et l’incontournable entrevue avec le voisin estomaqué.
«Je n’arrive pas à croire qu’il a tué sa famille. C’était un gars sage, un gars poli. On ne l’entendait jamais.»
Justement, c’est ça, le problème.

Rien de plus inquiétant que des gens qui ne s’éclatent pas, qui n’élèvent jamais la voix. Des p’tits messieurs avec leurs p’tites mallettes, qui disent: «Oui, monsieur. Non, monsieur.»

Avez-vous vu le film Once Were Warriors? Les personnages principaux sont des autochtones, descendants des guerriers maoris. Avant, ils chassaient, ils faisaient la guerre, ils se mesuraient à la nature. Maintenant, ils vivent aux crochets de l’État, parqués dans des réserves.

Alors qu’est-ce qu’ils font? Ils s’autodétruisent et battent leur femme.