Ondes de choc

Un mariage de rêve

«Le traitement de l’information fait désormais partie des plans militaires, comme les stratégies, les armes et les soldats.»
– Charles-Philippe David, La guerre du Golfe: l’illusion de la victoire?

Vous l’avez peut-être raté. C’était un petit texte perdu dans les quotidiens, samedi dernier:

«Le Pentagone et Hollywood vont collaborer pour développer des techniques de simulation numérique susceptibles d’être utilisées par l’Armée américaine pour des manoeuvres virtuelles, et par l’industrie du cinéma pour perfectionner ses effets spéciaux.

Au cours d’une conférence de presse, le secrétaire à l’Armée de Terre a annoncé la signature d’un contrat de quarante-cinq millions de dollars avec l’Université de Californie du sud (USC) pour fonder un nouvel Institut pour les technologies créatives. Cet institut "résultera d’un effort commun entre l’Armée, l’industrie du spectacle et l’Université". Son objectif sera de développer des simulations d’entraînement extrêmement réalistes, basées sur des techniques de réalité virtuelle. Hollywood espère en bénéficier pour améliorer ses effets spéciaux et créer des jeux vidéo plus réalistes.

Après un cours en ligne sur l’histoire et la culture d’une région, un soldat pourrait être plongé dans un monde virtuel et se trouver entouré par des gens parlant une langue étrangère. "Dans ces environnements de synthèse perfectionnés que nous allons créer, les participants seront totalement plongés – physiquement, intellectuellement et émotionnellement – dans des histoires captivantes pleines de personnages attirants", a déclaré Cornelius Sullivan, vice-doyen de l’USC.

Ce mariage entre Hollywood et le Pentagone est "un mariage de rêve".»

Ronald Reagan, ex-acteur devenu président, appelait les uniformes des soldats des «costumes». Des images digitales de Bill Clinton apparaissent dans le film de science-fiction Contact. Le magazine George traite la politique comme du showbiz. Les ex-politiciens deviennent vedettes à la télé.

Et Warren Beatty songe à se porter candidat à la présidence des États-Unis.

Chez nos voisins du sud, la frontière qui sépare la politique et le showbiz est de plus en plus floue. Normal: dans un monde comme dans l’autre, c’est l’image qui prime. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que l’Armée américaine et Hollywood n’en viennent à former une alliance; c’est chose faite. Les whiz kids de l’informatique et les experts en bombardements mettront donc leurs forces en commun afin de gagner chacun sa guerre: la guerre de l’image pour les uns, la guerre du pouvoir pour les autres.

Celle des idées et de l’argent pour les deux.

En fait, la signature d’un contrat entre la U. S. Army et Hollywood ne fait qu’officialiser cette union. Car ça fait longtemps que les amants partagent la même couche. On n’a qu’à penser à l’opération Overload de juin 1944. Une fois les mitraillettes et les tanks débarqués sur les plages de Normandie, qu’est-ce qui a suivi? Les images. Hollywood a littéralement pris d’assaut l’Europe.

D’ailleurs, le langage utilisé par les bonzes d’Hollywood ressemble de plus en plus à celui des militaires.

On monte une «opération choc». On «bombarde» le public de pubs. On «effectue une percée» dans le marché, etc. Et les films, comme les guerres, misent de moins en moins sur l’aspect humain (les acteurs / les soldats), et de plus en plus sur la haute technologie (les effets spéciaux / les missiles téléguidés).

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Prochaine étape: la participation des médias. Un ménage à trois entre Hollywood, l’armée et le petit écran.

À en croire le journaliste anglais Robert Fisk, c’est déjà commencé.

Dans le dernier numéro du Monde diplomatique, Fisk nous fait part d’un fait troublant qui se serait déroulé pendant la récente guerre au Kosovo.

Au beau milieu du conflit, des producteurs du réseau CNN ont réussi à convaincre Aleksandar Vucic, ministre serbe de l’Information et bras droit de Milosevic, de se faire interviewer par Larry King. L’homme devait se rendre dans un studio de la télévision serbe, à Belgrade, afin de participer à un duplex. Or, à l’heure exacte du rendez-vous, l’Armée américaine bombarda et détruisit ledit studio, tuant entre autres la maquilleuse. Vucic, qui était en retard, échappa de près à la mort.

De conclure Fisk: «Pour CNN, il ne s’agit que d’une coïncidence. Espérons-le.»