«Everybody must get stone!»
Il y a trente ans, Bob Dylan exhortait les jeunes à se geler la bine. Aujourd’hui, son conseil est suivi à la lettre – mais par les personnes âgées.
En effet, selon Philippe Voyer, un prof de l’Université du Québec à Trois-Rivières qui a prononcé une conférence lors du congrès annuel de l’Ordre des infirmières la semaine dernière, les personnes âgées sont accros aux psychotropes. Elles avalent des somnifères et des anxiolytiques comme si c’était des Smarties. Entre 60 et 90 % de la population des résidences pour retraités carbureraient aux psychotropes, même s’il est prouvé que leur utilisation prolongée peut causer la démence et réduire les capacités cognitives…
Et la beauté de la chose, c’est qu’ils se gèlent la bine en toute légalité, avec l’aide de leurs médecins. «Vous êtes angoissée, madame Tartempion? On va vous prescrire un beau cocktail vitaminé: des Valium, un peu de Prozac et des pilules pour dormir. Ça vous va? Si votre problème persiste, revenez nous voir, on n’est pas sorteux.»
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En mai dernier, le magazine Harper’s publiait un texte fort intéressant sur les médicaments: America’s Altered States. L’auteur, un spécialiste en pharmacologie et en santé mentale, posait une question simple mais ô combien pertinente: à partir de quel point le soulagement légal de la souffrance devient-il une poursuite illégale du plaisir?
Ou, en d’autres mots: pourquoi la loi reconnaît-elle certaines drogues, mais pas d’autres?
Quelle est la différence entre la mémé aux cheveux blancs qui croque des Valium pour cesser de broyer du noir, et son p’tit neveu aux cheveux verts qui gobe de l’Ecstasy pour voir la vie en rose?
Il n’y en a pas beaucoup: tous les deux consomment des drogues stimulant les neurotransmetteurs et altérant la chimie du cerveau afin de ressentir un certain bien-être. Pourtant, la loi permet la vente du premier psychotrope, et interdit celle du second.
Pourquoi?
Tout simplement à cause de la notion de plaisir. Les «bonnes» drogues soulagent les maux, alors que les «mauvaises» drogues procurent du plaisir.
Prenez le LSD, par exemple. Cette substance découverte en 1943 par un chimiste suisse a été utilisée dans les années 40 et 50 pour le traitement de l’alcoolisme, de la dépression et de plusieurs autres formes de névrose. Plus de mille études ont été effectuées sur le LSD, et la drogue a été testée sur plus de quarante mille personnes. C’était le médicament préféré des psychiatres. Or, au début des années 60, le LSD se retrouva soudainement sur la liste noire du gouvernement américain. Pourquoi?
C’est exactement la question que le sénateur Robert Kennedy posa aux directeurs de la Food and Drug Administration (FDA) lors d’une séance du Congrès en 1965: «Si ce psychotrope était si utile il y a un an, pourquoi est-il maintenant interdit?»
Réponse de la FDA: parce que la drogue était sortie des laboratoires et des cliniques pour envahir les campus et les dortoirs. Parce que le LSD était passé de médicament soulageant la douleur à drogue procurant du plaisir.
Or, la frontière entre le soulagement de la douleur et le plaisir est extrêmement ténue. La mémé qui croque un comprimé de Valium ne ressent-elle pas une forme de plaisir en prenant sa dose? Et l’ado qui gobe de l’Ecstasy ne soulage-t-il pas en quelque sorte certains malaises psychologiques, que ce soit la timidité, la peur, voire la dépression?
En fait, ce que dit le gouvernement, c’est qu’on peut se gratter parce que ça démange, mais pas parce que ça fait du bien. Bien sages, ceux qui peuvent faire la différence!
Et que dire du Viagra? Le but ultime du Viagra n’est-il pas de donner du plaisir?
Les gens qui s’opposent à la légalisation des drogues disent que les pushers vendant des drogues illégales veulent seulement faire de l’argent; alors que les compagnies pharmaceutiques, elles, ont à coeur la santé des citoyens. Faites-moi rire!
En 1998, les compagnies pharmaceutiques américaines ont dépensé 1,2 milliard de dollars en publicité. Pourquoi? Pour augmenter leurs chiffres d’affaires, point. Entre 1970 et 1998, les revenus de ces compagnies ont quadruplé, pour atteindre quatre-vingt-un milliards de dollars.
Et devinez quoi? Le quart de leurs revenus provient de la vente de psychotropes affectant les sens et le système nerveux central.
Comme l’a écrit Luc Plamondon: «Stone, le monde est stone.»