Ondes de choc

Rock and Roll

Connaissez-vous Report on Business? Il s’agit du supplément économique du Globe and Mail.

Report on Business (mieux connu sous l’acronyme ROB) a maintenant son réseau de télé: ROB-TV, une sorte de CNN spécialisé dans la finance et l’économie. ROB-TV diffuse des pubs afin d’attirer de nouveaux téléspectateurs. Dans une de ces publicités, plusieurs gens d’affaires parlent d’argent, d’économie et d’information. «Le paysage économique change constamment, vous devez être au courant de ce qui se passe si vous voulez devancer vos compétiteurs, patati, patata…»

Vous voyez le genre.

Mais il y a un bonhomme qui dit une phrase extraordinaire, une phrase qui me fait bondir chaque fois que je l’entends:

«Money is bigger than rock’n’roll.»

Vous avez bien lu.

«Money is bigger than rock’n’roll.»

Cette phrase, selon moi, en dit plus sur notre époque que n’importe quel essai.

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Quand feu John Kennedy Jr. a lancé le magazine George, il y a quelques années (au tout début de la fièvre Clinton, alors que la Maison-Blanche était peuplée de jeunes loups aux dents longues qui jouaient au basketball dans le couloir menant au bureau ovale), il a dit que la politique allait bientôt supplanter le showbiz. «Les politiciens vont devenir des superstars, a-t-il lancé, et George sera le Rolling Stone Magazine de cette nouvelle ère.»

John John avait une bonne idée. Malheureusement, il s’est fait dépasser par la droite. En effet, ce n’est pas le milieu de la politique qui a supplanté le showbiz, mais celui de l’économie.

Les gens d’affaires sont devenus nos nouvelles idoles, nos nouveaux demi-dieux.

Ce n’est plus George, le magazine hip des twentysomethings cravatés, mais Fast Company, Red Herring et Business 2.0, des publications qui sont au commerce électronique ce que Coup de pouce est à la cuisine minceur.

Bill Gates est notre nouveau Mick Jagger; Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon.com, a remplacé Tom Hanks; et Tim Koogle, le PDG de Yahoo!, est aussi populaire que Dennis Rodman.

Ces gars-là sont jeunes, hot et multimilliardaires. Pas multimillionnaires: multimilliardaires. Trois zéros de plus.

Leur vie privée n’a de secret pour personne: on sait quels restaurants ils fréquentent, quelles marques de vêtements ils portent et comment ils ont décoré leur palace. Ils sont à Forbes et à Fortune ce que Demi Moore est à Vanity Fair. Tout juste s’ils ne font pas le centerfold de Business Week ou de SmartMoney.

Bientôt, si ça continue, ils auront leur propre gala: les Golden Balls.

Le prix du meilleur négociateur de soutien dans une OPA. Le prix de l’actionnaire qui a fait le plus de fric en une heure. Le prix Rockefeller couronnant l’ensemble d’une carrière.

«En nomination: Steve Case, président d’America OnLine. Âge: quarante et un ans. Valeur estimée: six cent cinquante millions de dollars.

Jerry Yang, cofondateur de Yahoo!. Âge: trente ans. Valeur estimée: trois milliards de dollars.

Meg Withman, présidente d’eBay. Âge: quarante-trois ans. Valeur estimée: neuf cents millions de dollars.

Scott McNealy, président de Sun Microsystems. Âge: quarante-cinq ans. Valeur estimée: un milliard de dollars.

Michael Dell, président de Dell Computer. Âge: trente-quatre ans. Valeur estimée: vingt et un milliards et demi de dollars.»

Dans les années soixante, les Stones chantaient: «You can’t always get what you want.»

Maintenant, le chant de la jeunesse américaine, c’est: «Why settle for less when you can have it all?» Pourquoi se contenter de moins quand on peut tout avoir?

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«Money is bigger than rock’n’roll.»

Le pire, c’est que c’est vrai. Les Seigneurs de la nouvelle économie sont les top models des années deux mille. Jeans délavés, souliers de course détachés, walkman sur la tête, bol de salade, eau Évian, vingt milliards de dollars dans les poches…

Regardez le gros «hoop-la» qui a entouré le dernier Super Bowl. De quoi parlait-on? De sport? Non: des mégapublicités. Deux millions de dollars pour trente secondes de temps d’antenne. Wow! On a hâte de voir ça…

Étienne de La Boétie avait une belle expression pour décrire cela: la servitude volontaire.

La dinde qui s’excite à l’idée de se faire plumer.