«Je doute que les fans sachent à quel point ça prend du courage pour évoluer dans une équipe de hockey professionnel. Les joueurs sont de plus en plus gros et de plus en plus rapides, les bandes sont dures, la glace est dure, les bâtons sont durs et la rondelle est gelée. Les risques sont élevés, et ça nécessite beaucoup de courage pour les affronter.»
– Carl Botterill, psychologue, dans le Globe and Mail du 24 février
Vous rappelez-vous le film Slap Shot, avec Paul Newman? Cette comédie sortie en 1977 racontait les mésaventures d’une équipe de hockey sur le déclin, qui multipliait les actes de violence sur la glace afin d’attirer les spectateurs. Dans une scène particulièrement rigolote, Newman et ses coéquipiers affrontaient une équipe brutale formée de psychotiques et de repris de justice.
À l’époque, Slap Shot était considéré comme une satire caricaturale. Aujourd’hui, ce film prémonitoire (de même que Rollerball, le drame de science-fiction sorti deux ans plus tôt) ressemble à un documentaire. En effet, le sport professionnel devient de plus en plus heavy.
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On a beaucoup parlé du coup de bâton que Marty McSorley, des Bruins de Boston, a asséné à Donald Brashear, des Canucks de Vancouver, la semaine dernière. Or, cet acte sadique n’est pas exceptionnel: il est en accord avec la logique qui régit le sport professionnel depuis plusieurs années. McSorley lui-même est un récidiviste. Il a été puni plusieurs fois au cours de sa carrière pour avoir attaqué violemment ses adversaires: en 1994, en 1993, en 1992 (deux fois), en 1991, en 1988 et en 1987.
Avant de jouer pour les Bruins, McSorley (qui a amassé 3381 minutes de pénalités au fil des ans – le troisième score le plus élevé de l’histoire de la LNH) évoluait au sein des Kings de Los Angeles. Son rôle était clair: il devait protéger Wayne Gretsky. C’était un garde du corps sur patins, un nettoyeur. Un goon.
Avant, les goons étaient l’exception; ils sont en train de devenir la règle. Au cours du dernier mois, deux joueurs de football professionnel (Ray Lewis des Ravens de Baltimore et Rae Carruth des Panthers de Carolina) ont été accusés de meurtres. Au cours des trois dernières années, quatre-vingt-dix-neuf athlètes de la NFL ont été arrêtés pour crimes violents (assauts, vols, agressions sexuelles). Selon les journalistes américains Jeff Benedict et Don Yeager, qui ont publié un essai sur la violence dans le football professionnel (Pros and Cons: The Criminals Who Play in the NFL), 20 % des footballeurs actifs pendant la saison 1996-1997 ont été accusés de crimes graves, allant de possession illégale d’armes à feu à trafic de drogues et kidnapping.
Cela, sans parler des viols et des agressions de Mike Tyson, et autres bêtises commises par des stars du base-ball et du basket-ball.
La situation est telle qu’une association spéciale a été formée: The National Coalition Against Violent Athletes.
On a eu le Gangsta Rap. Voici maintenant le Gangsta Sport.
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Remarquez, tout cela n’a rien de surprenant.
Prenez un kid sans éducation, qui a passé son enfance à se battre dans les ruelles; donnez-lui une couple de millions par année pour lancer un ballon, et élevez-le subitement au rang de star internationale: vous vous retrouvez avec le p’tit frère attardé de King Kong.
Ces goons sont formés pour une seule et unique chose: attirer des spectateurs coûte que coûte, et enrichir leur employeur au maximum. Ils sont comme des coqs de combat. Selon Thomas Tutko, prof de psychologie à l’Université de San Jose, les athlètes professionnels ont le même profil psychologique que les soldats. Afin de supporter la pression et de surmonter leurs peurs, ils se répètent sans cesse qu’ils sont invincibles, indestructibles, plus forts que tout. Des demi-dieux flottant au-dessus des lois et des hommes.
Il y a un mois, la World Wrestling Federation (l’organisation de sport professionnel la plus riche au monde) a annoncé qu’elle allait fonder sa propre ligue de football. Cette ligue, a déclaré le porte-parole de la WWF, sera «extrême», c’est-à-dire violente et brutale. À côté d’elle, la NFL ressemblera à une association de tricoteuses.
La WWF, comme vous le savez, est maintenant une compagnie publique. Un conseil: si vous voulez faire de l’argent, investissez dans l’entreprise. Car lorsque les premiers matchs de cette nouvelle ligue seront diffusés, la valeur des actions de la WWF défoncera le plafond.