Il y a vingt-cinq ans, la féministe américaine Susan  Brownmiller publiait un livre-choc, qui a complètement  transformé notre perception du viol: Against Our Will: Men,  Women and Rape.
  Dans cet ouvrage, Brownmiller affirmait que le viol n’était pas  un acte sexuel, mais bien une prise de pouvoir. Les violeurs  n’attaquaient pas les femmes pour assouvir leur désir, mais  pour exprimer leur rage et «remettre les femmes à leur place».  Quatre ans plus tard, la cinéaste Anne-Claire Poirier s’inspira  des écrits de Brownmiller pour réaliser l’un des films les plus  célèbres du cinéma québécois: Mourir à tue-tête. Tous ceux qui  ont vu l’horrible scène de viol dans le camion se souviendront  toute leur vie de ces images.
  L’essai de Brownmiller et le film de Poirier sont sortis dans  les années 70. À l’époque, la sociologie régnait en maître dans  les institutions d’enseignement. C’était le triomphe de  l’acquis sur l’inné. Le mot d’ordre était «conditionnement».  Tous les problèmes accablant la planète découlaient du même  mal: la société. Les jeunes étaient violents? C’était la faute  à la société. Les hommes brutalisaient les femmes? C’était la  faute à la société. Le nombre de suicides augmentait  dangereusement? C’était la faute à la société.
  Aujourd’hui, on effectue un virage à 180 degrés. Les  scientifiques ne jurent que par la génétique, et la sociologie  dort six pieds sous terre, à côté des vieux numéros du journal  marxiste-léniniste La Forge et des bronzes rouillés de  Lénine.
  Chaque semaine, on découvre un nouveau gène qui, dit-on, est à  la base d’un comportement humain. Le gène du suicide, le gène  de la criminalité, le gène de la timidité. Si tout va mal en ce  bas monde, ce n’est plus à cause de la société, mais à cause de  notre ADN. Plus besoin de faire la révolution pour changer la  vie: il suffit de gober une pilule ou de zigonner nos  chromosomes, et le tour est joué.
  Le mal n’est plus extérieur, mais intérieur.
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Pourquoi je vous parle de ça? Parce que deux scientfiques  américains viennent de publier un essai allant à l’encontre du  livre de Susan Brownmiller. A Natural History of Rape:  Biological Bases of Sexual Coercion, écrit par Randy Thornhill,  prof de biologie à l’Université du Nouveau-Mexique, et Craig T.  Palmer, prof d’anthropologie à l’Université du Colorado,  affirme que le viol n’est pas seulement un acte à caractère  sexuel, mais un comportement inné, commun à toutes les espèces  animales.
  La thèse des auteurs va comme suit: le viol est la façon qu’a  trouvée la nature pour faire en sorte que les hommes «faibles»  puissent se reproduire!
  Ces scientifiques citent entre autres l’exemple d’une espèce  particulière de mouches, la mouche-scorpion. La «séduction»,  chez la mouche-scorpion, suit des règles bien précises: le mâle  offre un insecte mort à sa belle (l’équivalent du bouquet de  fleurs ou de la bague à trois carats). Si la femelle trouve le  cadeau joli, elle accepte de se faire engrosser par le mâle.  Mais voilà: ce ne sont pas tous les mâles qui sont capables de  chasser les insectes! Certains se débrouillent mal avec leur  .303, ou ne possèdent tout simplement pas de permis de chasse.  Que font-ils, alors? Comment s’y prennent-ils pour assurer la  survie de leur lignée? Simple: ils violent. Afin de les aider,  la nature a même doté les mouches-scorpions mâles d’une sorte  de petite griffe qui sert à maintenir de force la femelle sur  le dos pendant la copulation!
  Transposée dans le monde des humains, cette théorie débile  donne ceci:
  Pour séduire une femme, vous devez être beau, fort et riche. Si  vous n’avez aucune de ces qualités, aucune femme n’acceptera de  partager votre lit car elles recherchent toutes un winner.  Heureusement, si votre physique est ingrat et votre compte en  banque chétif, vous pourrez toujours arriver à vos fins en  assommant votre jolie voisine et en l’attachant dans le fond  d’un camion.
  «Chez les mouches-scorpions, de dire Thornhill et Palmer, les  mâles n’ont recours au viol que s’ils ne peuvent obtenir de  présent nuptial susceptibl de plaire à la femelle.»
  C’est fou comme la nature a tout prévu, non?
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Cette semaine, on célèbre la Journée internationale des  femmes. Un peu partout, des hommes et des femmes clament haut  et fort que le combat pour l’égalité entre les sexes est gagné,  et qu’il ne reste plus que quelques petits détails à  régler…
  Si j’étais eux, je ne crierais pas victoire trop vite.