Il y a quelques années, je suis allé entendre Nicolas Negroponte, le pape de l’âge digital, au Palais des congrès.
Debout sur une scène circulaire tel un télévangéliste high-tech, le chercheur-vedette du MIT (Massachusetts Institute of Technology) prêchait la bonne parole à une poignée de fidèles qui avaient suivi l’étoile des Rois mages jusqu’à l’avenue Viger.
«La Révolution technologique, disait-il, est à nos portes. Bientôt, dans quelques années tout au plus, le monde sera complètement transformé par Internet. Le Web changera notre façon de voter, de penser, d’interagir.»
La présentation de Negroponte (qui se déroulait bien entendu devant un écran géant) était extraordinairement stimulante. Comme toutes les personnes présentes, je suis sorti du Palais légèrement stoned, comme si je venais d’assister à une messe gospel dans une petite église de Harlem.
«I said Jesus is gonna save the world!
– Amen!
– I said JESUUUUUUS is gonna SAAAAAVE the World!
– AMEN!!!!!»
Aujourd’hui, force est d’admettre que le prophète de la révolution technologique avait raison: un nouveau jour s’est bel et bien levé. Le hic, c’est qu’il n’éclaire qu’une infime partie de la planète.
* Selon une récente étude des Nations unies, 88 % des internautes vivent dans des pays industrialisés et 57 % d’entre eux sont américains. Or, les pays industrialisés n’abritent que 15 % de la population mondiale, et les États-Unis, 4,7 %.
* Actuellement, en Afrique, on compte 739 millions de personnes… et 14 millions de lignes téléphoniques (moins qu’à Tokyo ou à Manhattan). Là-bas, un appel local peut coûter jusqu’à dix dollars l’heure. Seulement un million d’Africains ont accès à Internet.
* Moins de 1 % des internautes vivent en Asie du Sud, qui compte pour 20 % de la population mondiale.
* 80 % des sites Internet sont en anglais – une langue qui n’est comprise que par 10 % des citoyens de la planète.
* Selon Larry Irving, ex-Secrétaire du commerce aux États-Unis, moins de 2 % de la population mondiale est branchée.
* Et plus de 80 % des habitants de la planète n’ont pas de téléphone.
Révolution mondiale? Où ça?
L’ironie, avec le credo digital, c’est que Negroponte et ses disciples ne cessent de répéter que les nouvelles technologies de télécommunication vont effacer les frontières et rapprocher les nations. Or, chaque fois qu’ils parlent de la Révolution high-tech, ils oublient de tenir compte de 80 % de la planète!
Bonjour l’ouverture sur le monde.
Actuellement, toujours selon l’ONU, sur les 4,4 milliards d’habitants que comptent les pays en développement, près des trois cinquièmes sont privés d’infrastructures sanitaires de base. Près d’un tiers n’ont pas accès à l’eau potable. Un quart ne disposent pas d’un logement correct. Un cinquième n’ont pas accès aux services de santé modernes. Un cinquième des enfants quittent l’école avant la fin de la cinquième année de scolarité. Et environ la même proportion ne consomment pas suffisamment de calories et de protéines.
Que fait Internet pour ces gens? Rien.
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Qui sait? Internet deviendra peut-être un jour un outil de changement. Mais en attendant, il est surtout un peep-show géant.
Selon le magazine américain U.S. News and World Report, 80 % des sites Web visités chaque jour sont des sites pour adultes. Le réseau America Online (AOL) permet d’accéder à 16 % de tous les sites pornos existants. En fait, selon les analystes, AOL n’existerait même pas si ce n’était des sites pornos! Ces sites lui permettent d’empocher sept millions de dollars par mois…
Chaque année, les internautes paient 1,4 milliards de dollars pour s’abonner à des sites payants. Or, 69 % de cette somme est consacrée à la consommation de matériel pornographique.
Bref, la secte du Web est comme toutes les autres sectes: une bande de pimps déguisés en curés.