Ondes de choc

Le meilleur des mondes

Il y a deux ans, le réseau américain PBS diffusait un documentaire sur l’affluenza.

Pour ceux qui l’ignorent, l’affluenza est une dangereuse maladie qui, bon an, mal an, frappe des millions de Nord-Américains. Tout comme l’influenza, on ne lui connaît aucun remède. Les symptômes sont toujours les mêmes: incapacité de garder son argent, fascination pour les nouveaux gadgets à la mode, amour immodéré des gros centres commerciaux, tendance morbide à collectionner les cartes de crédit…

L’affluenza porte aussi un autre nom: la surconsommation.

En Amérique du Nord, c’est une véritable pandémie. Les gens achètent des VTT gigantesques et se font construire des garages de neuf cents pieds carrés, grands comme des bungalows des années cinquante. Chez nos voisins du sud, les commerçants investissent 233 milliards de dollars par année dans des campagnes publicitaires destinées à inciter les gens à acheter leurs produits. Selon de récentes études, les Américains ont utilisé plus de ressources au cours des quarante dernières années que l’ensemble des êtres humains qui ont vécu avant eux! Ils "scrappent" sept millions d’autos annuellement, jettent deux millions de bouteilles de plastique par heure, et suffisamment de cannettes d’aluminium pour fabriquer six mille DC-10 par année.

Bref, we shop til we drop. Et plus l’économie s’améliore, plus les gens consomment.

Heureusement, il y a de l’espoir. Selon le magazine Mother Jones, des scientifiques de l’Université de Stanford ont réussi à percer le secret de la surconsommation. Cette fièvre étrange ne serait pas un problème de société, mais… un désordre biologique, qui frappe près de 10 % des Américains!

Et qui dit désordre biologique, dit petite pilule bleue.

C’est ainsi qu’après avoir bossé pendant des mois dans leur labo (grâce à la générosité d’une firme pharmacologique désirant conserver l’anonymat – ah! l’humilité des grands), nos savants ont mis au point un comprimé révolutionnaire qui, promettent-ils, nous enlèvera toute envie de flamber notre fric.

Cette pilule miracle – un antidépresseur approuvé par la Federal Drug Agency – sera bientôt en vente dans toutes les bonnes pharmacies. Et, comme le Viagra, elle sera annoncée partout, à grand renfort de pub.

l l l

Rien de mieux que la maladie pour enrichir les fabricants de pilules. Et quand on est à court de maladies, on en invente!

En janvier dernier, le géant Glaxo Weelcome a fusionné avec un autre géant de l’industrie pharmaceutique: SmithKline Beecham. Valeur de la nouvelle corporation: 189 milliards de dollars. En février, c’était au tour de Pfizer, le fabricant du célèbre Viagra, d’acheter un compétiteur (Warner-Lambert) pour 90 milliards de dollars.

L’an dernier, aux États-Unis, la vente de pilules a grimpé de 9 %, pour atteindre le chiffre astronomique de trois milliards d’ordonnances! Bien entendu, ce sont les antidépresseurs qui mènent le bal avec une hausse de 17 %.

Et pendant ce temps-là, les flics effectuent des descentes dans des Clubs Compassion sous prétexte qu’on y offre du pot à des malades chroniques…

Savez-vous quand le gouvernement décidera enfin de décriminaliser la mari? Quand les compagnies pharmaceutiques s’en mêleront, quand ils vont mettre la main sur ce marché hyper lucratif. Quand Glaxo Weelcome et Pfizer commenceront à faire pousser du pot dans leurs labos, et qu’elles investiront des millions et des millions de dollars dans ce business.

Là, vous verrez, on vantera les mérites du joint aux heures de grande écoute.

l l l

Bientôt, si ça continue, on va nous dire qu’il existe un gène de la surconsommation. Pourquoi pas?

Dans Les Imposteurs de la génétique, un essai qui vient de sortir aux éditions du Seuil (collection Science ouverte), Bertrand Jordan, directeur de recherche au CNRS, dénonce cette idéologie du "tout génétique" qui emballe les médias depuis quelques années. "Il ne se passe pas un jour sans que l’on annonce la découverte des gènes de l’homosexualité, de l’innovation, de l’alcoolisme, de l’hyperactivité infantile, voire de la religiosité, écrit-il. La génétique est créditée de tous les pouvoirs quant à l’amélioration de la santé humaine. Mais cette idéologie engendre aussi la résignation à des inégalités sociales vite présentées comme biologiques. Avec le triomphe mondial d’un mode de production capitaliste auquel ne s’oppose plus aucune alternative, nos sociétés marchandes et individualistes tendent à dissoudre les solidarités et à se décharger de toute responsabilité dans le devenir des individus. Elles accueillent donc favorablement des théories qui attribuent le destin des personnes à leurs gènes plutôt qu’à leur éducation, leur environnement et leur condition sociale…"

À quand une pilule anti-pauvreté?