Connaissez-vous l’eurotrash?
Non, ce n’est pas une compagnie suédoise de transformation des déchets. C’est le mauvais goût européen. Le kétaine made in Europe.
On connaît tous le whitetrash américain: de gros bouseux ignorants qui vivent dans des parcs à roulottes et qui passent leur temps à tirer sur des canettes de bière avec leur carabine à plombs. Des zoufs finis tout droit sortis de Délivrance, avec leur camisole en filet, leur casquette de la WWF et leurs gougounes en plastique.
Eh bien, l’eurotrash, c’est la version high class du whitetrash. Si la capitale du whitetrash est l’Arkansas, celle de l’eurotrash est Monaco.
Vous voyez le genre? Des poupounes gonflées au silicone et au collagène, des play-boys éternellement bronzés, des aristocrates déchues qui s’envoient des bisous et qui finissent chaque phrase par: "Ciao, baby!"
L’eurotrash a deux figures emblématiques: Dodi El Fayed, l’ex-amant millionnaire de la princesse Diana, mort à Paris dans un accident de limousine alors qu’il était poursuivi par des paparazzi (on croirait regarder La Dolce Vita); et Lolo Ferrari, la regrettée star de soft porn italien aux nénés ridiculement gigantesques, morte – tradition oblige – d’une surdose de barbituriques.
Deux symboles du kitsch commercial européen.
L’eurotrash, c’est le magazine à potins Gala; la revue Point de vue-Images du monde (sur les familles royales); le groupe Abba; les films érotiques "de bon goût" (Emmanuelle, Histoire d’O); les émissions de variétés italiennes; la Côte d’Azur et… la Formule Un.
Plus eurotrash que la Formule Un, tu meurs.
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Le Québec, on le sait, est déchiré entre l’Amérique et l’Europe. Cette schizophrénie déteint sur chaque aspect de notre culture: la bouffe, le cinéma, la mode. Mais elle se manifeste aussi dans notre mauvais goût.
Trois cent soixante jours par année, le mauvais goût québécois loge à l’emblème des States: les gros centres commerciaux, les bonshommes qui se promènent en bedaine dans la rue, les romans Harlequin, le fast-food, les films d’Arnold. Mais durant la semaine du Grand Prix de Montréal, nous assistons à une transmutation du kitsch québécois. L’homo ketainus quebecus délaisse momentanément le whitetrash pour embrasser l’eurotrash.
C’est ce qui s’est passé le week-end dernier.
Le temps de crier "Jacques Villeneuve", et Montréal était transformée en mini-Monaco.
Les poupounes "bleachées" grimpées sur des pompes vertigineuses; les autos sport rouges; les machos bronzés vêtus de blanc qui boivent de la bière importée sur la terrasse du pub Alexandre, leur cellulaire vissé à l’oreille et leurs lunettes de soleil attachées autour du cou.
C’est comme si la rue Crescent avait complètement avalé la ville.
Ce qui est étonnant avec l’eurotrash, c’est qu’il transforme la bouse en or.
Prenez les films de cul, par exemple. Dans les années 70, les gens qui allaient voir les films de cul américains (Deep Throat, The Devil in Miss Jones) étaient considérés comme des pervers. Mais ceux qui attendaient en ligne pour se taper le dernier Francis Leroi (Emmanuelle l’antivierge, Je suis à prendre ou Les Tentations de Marianne) passaient pour des gens de goût. Pourtant, c’étaient les mêmes fesses et les mêmes queues! Mais le passeport européen conférait à ces pitoyables navets un je-ne-sais-quoi de sophistication…
Eh bien, c’est la même chose avec le Grand Prix. Parce que ça vient d’Europe, parce que l’événement fait le bonheur des Allemands et des Italiens, soudainement, il est de bon ton de parler de chars. La culture de body shop (carrosseries reluisantes et babes en monokini) devient politiquement correcte.
Vous parlez de votre Toyota en calant une Miller et en regardant les filles, avenue du Mont-Royal: vous êtes vulgaire. Vous parlez de votre Ferrari en sirotant une Becks et en reluquant les passantes, rue Crescent: vous êtes cool.
Pourquoi? Parce que la vulgarité est toujours plus acceptable lorsqu’elle a un vernis européen. Lorsqu’elle porte des sandales Gucci et un sac Vuitton.
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C’est vrai que le Grand Prix est excitant. C’est vrai que c’est un événement formidable. Mais soyons francs: tout ce cirque ressemble à un designer jean.
Enlevez la griffe du couturier, et qu’est-ce que vous avez? Un vulgaire morceau de denim.
Des gars qui traînent leur glacière et leur chaise pliante pour aller voir des gros chars faire du bruit.
Le Daytona 500, avec un accent italien.
Ciao, bambino!