Ondes de choc

L’or et le papier

Ainsi, c’est la firme Patkau Arkitects, de Vancouver, qui construira la Grande Bibliothèque du Québec, qui siégera rue Berri. La nouvelle, généralement bien accueillie par le milieu, a semblé réjouir la directrice de la GBQ, Lise Bissonnette, qui affichait son fameux sourire de «collégienne espiègle contente d’avoir mis le prof K.-O.».

De passage au Point, cette semaine, l’ex-directrice du Devoir défendait son bébé, bec et ongles, fustigeant tous ceux (entendez: les médias) qui osaient verser quelques gouttes d’eau sur son feu. À l’entendre, la GBQ est un cadeau du ciel. Un véritable Flex-o-Flex intellectuel, qui guérira les maux de la population québécoise en agissant là où ça fait mal.

Les bibliothèques de quartier? Elles profiteront de la manne.

Le coût final du projet? On a vu pire…

«C’est le principe des vases communicants», de dire madame Bissonnette, après avoir administré quelques coups de règle sur les doigts du journaliste qui l’interviewait. Le succès de la GBQ se reflétera sur tout le système.

Comme on dit: «Ce qui est bon pour Minou est bon pour Pitou.»

Fin de la discussion.

Les pisse-vinaigre qui osent mettre des bémols ne sont, pour utiliser les termes consacrés par Guy Chevrette, que «des gosseux de poils de grenouilles».

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Eh bien, batracien ou pas, j’ai des doutes. Je ne suis pas contre la construction de la GBQ (qui peut être contre la vertu?); mais je me pose des questions.

J’ai grandi à Verdun. Pas Verdun-en-haut, près de Ville Lasalle, mais Verdun-en-bas, tout à côté de Pointe-Saint-Charles, entre une scrap à bois et une ancienne usine désaffectée qu’on escaladait tous les samedis matin. Ce n’est pas à proprement parler une Mecque intellectuelle, mais on y trouvait deux bonnes bibliothèques: une bibliothèque jeunesse, qui occupait un petit coin de l’hôtel de ville, rue Verdun, et une biblio pour adultes, située un peu plus à l’ouest, rue Bannantyne.

C’est là que j’ai appris à aimer la lecture.

C’est là que j’ai découvert Hergé, Agatha Christie; puis, avec le temps, des auteurs un peu plus consistants. C’est dans l’antre de ces bibliothèques, en furetant dans leurs rayons et en jasant avec les bibliothécaires (qui me connaissaient tous par mon petit nom, et qui pouvaient me suggérer quelques titres) que j’ai élargi mes horizons. Pas en fréquentant la Bibliothèque centrale de Montréal, sise en face du parc La Fontaine!

Pensez aux amateurs de films.

Qui est prêt à traverser une partie de l’île de Montréal pour aller se louer un film à La Boîte noire ou au SuperClub Vidéotron de Roland Smith, avenue du Mont-Royal? Un petit groupe de cinéphiles purs et durs. La plupart des gens vont louer leurs cassettes au vidéoclub du coin.

C’est la même chose pour les livres. C’est dans leur quartier que les gens s’éveillent à la lecture. Les bibliothécaires de quartier (et les profs des niveau élémentaire et secondaire) sont les fantassins de la lutte contre l’analphabétisme et l’apathie intellectuelle. Ce sont eux qui sont au front, qui combattent l’ignorance et qui forment les lecteurs de demain.

Contrairement à ce qu’affirme Lise Bissonnette du fond de son bunker, ce n’est pas la GBQ qui aidera les biblios de quartier à faire des gains: ce sont les bibliothèques de quartier qui aideront la GBQ à croître et à rayonner, en lui acheminant de nouveaux lecteurs!

Une maison, ça se construit en commençant par la base. Malheureusement, au Québec, on a souvent tendance à faire les choses à l’envers. Le toit en premier, et les fondations ensuite.

Le système de santé est tout croche? Construisons un super-méga-hôpital, ça va régler le problème!

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Madame Bissonnette nous assure que la construction (et le financement) de la GBQ ne se fera pas aux dépends des petites bibliothèques de quartier. On voudrait bien la croire. Malheureusement, si le passé est garant de l’avenir, on a toutes les raisons du monde de s’inquiéter.

N’est-ce pas ce que le gouvernement nous a dit lorsqu’il a amorcé le virage ambulatoire? «Ne vous en faites pas, tout va se faire tout seul: il suffit de refaire la structure et le reste va suivre.»

Le taux d’analphabétisme du Québec est supérieur à la moyenne canadienne.

En 1987, 38 % des bibliothèques publiques imposaient une tarification. En 1999, ce pourcentage grimpait à 56 %. Certains coûts d’abonnement sont passés de 10 à 27 dollars.

Selon la Canadian Public Library, les bibliothèques publiques de Montréal sont sous-financées de façon chronique. Le budget total par habitant atteint seulement 27,47 $ à Montréal, comparativement à 53,17 pour Toronto et 54,87 pour Vancouver.

Voilà les chiffres. Le projet de la GBQ, tout aussi excitant qu’il soit, est-il le remède à ces maux?

Je pose la question. Et quoi qu’en dise madame la rectrice, mes doutes sont parfaitement légitimes.