Avez-vous lu La Presse de mardi dernier?
Si oui, vous êtes sûrement tombé sur le texte de Mathieu Perreault concernant la pilule à menstruations réduites. Cette pilule anticonceptionnelle, qui risque d’être vendue dans les pharmacies d’ici deux ou trois ans, diminuera la fréquence des règles. Au lieu de les avoir treize fois par année, la femme qui gobera ce comprimé les aura quatre fois.
"Il n’y a aucune bonne raison médicale aux menstruations", d’expliquer son créateur, le docteur Freedolph Anderson, de l’École de médecine de la Virginie de l’Est.
Effectivement, il n’y a pas de bonnes raisons médicales aux menstruations. Aux larmes non plus, d’ailleurs. C’est vrai, à quoi ça sert de pleurer? À rien. C’est du temps perdu, de l’énergie gaspillée. Vite, qu’on nous débarrasse de cette fâcheuse manie qui nous empoisonne la vie! Une pilule et hop! l’envie de pleurer nous passe. Ceux qui veulent s’humecter les yeux n’ont qu’à se mettre des gouttes.
Dans son texte fort instructif, Mathieu Perreault nous apprend que, selon une étude publiée en 1996 dans l’American Journal of Public Health, environ 2,5 millions d’Américaines souffrent chaque année de douleurs menstruelles au point de manquer des jours de travail.
Vous vous demandez pourquoi des chercheurs travaillent sur une chose aussi absurde qu’une pilule destinée à réduire les menstruations? Eh bien ne cherchez plus: la réponse, comme toujours, est d’ordre économique.
Les femmes doivent se débarrasser de leurs menstruations car cela les empêche de bosser. Et qui dit baisse de productivité dit baisse des profits.
Bientôt, les travailleurs ressembleront à Charlie Chaplin dans Les Temps modernes: attachés sur une chaise devant leur chaîne de montage (ou leur ordinateur, selon leur statut social), avec un seau sous leur siège pour recueillir leur pipi, et une machine robotisée qui les aide à manger. Plus de vie personnelle, plus d’empêchements fâcheux, plus de besoins physiques. Tout pour la performance.
Après les poules pas de muscles du Colonel Sanders, les femmes pas de règles du docteur Anderson. Avec un peu de chance, on trouvera peut-être une pilule miracle capable de faire fondre leurs hanches et leurs seins. On pourra ainsi les entasser à quinze dans un cubicule.
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À force d’avoir des appareils hyper performants répondant au doigt et à l’oeil (des lumières qui s’allument et qui s’éteignent au son de notre voix, des frigos intelligents qui font l’épicerie, des zappettes capables d’enregistrer trente-deux émissions en même temps, des ordinateurs qui connaissent nos goûts et nos habitudes), on a fini par détester l’imperfection.
On voudrait que les gens que l’on côtoie soient aussi user friendly que notre PalmPilot. Que la personne qui partage notre lit soit toujours souriante, drôle, serviable. Une belle machine fabriquée chez Sony, dans le seul but de nous rendre la vie agréable.
Pourquoi n’y a-t-il pas de garanties chez l’être humain? Pourquoi ne peut-on pas le retourner chez son fabricant en cas de bris?
Pourquoi les femmes sont-elles menstruées? Pourquoi les gars pètent-ils au lit? Y a-t-il une pilule à la vie? Un bouton Rewind? Un disque dur? Les ordinateurs et les autos ne cessent de s’améliorer, ils se renouvellent tous les trois mois, les fabricants ajoutent toujours un gadget. Juste au moment où l’on pense avoir vu le boutte du boutte avec le IMac fuchsia, hop! Steve Jobs présente son nouveau G4 minimaliste, encore plus beau et plus performant.
Pendant ce temps-là, l’être humain, lui, ne bouge pas. Toujours pareil, toujours identique à lui-même. Roger est toujours aussi distrait, et Brigitte est toujours aussi traîneuse.
La pilule qui diminue les menstruations, c’est ça: traiter l’humain comme une marchandise. Cet automne, Madame ne saignera plus. Et l’hiver prochain, le sperme de Monsieur goûtera la framboise. Ils pourront baiser douze mois par année, travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se sucer à bouche-que-veux-tu sans éprouver le moindre inconfort.
"Roger Tremblay, nouvelle formule. Pour sa rentrée 2001, nous lui avons allongé le pénis, grossi le cerveau et dégraissé le bide. Admirez ses nouvelles formes. Grâce au logiciel Outlook que nous lui avons apposé à la base du bulbe rachidien, votre compagnon de vie n’oubliera plus aucun anniversaire important. Roger Tremblay 2001: parce que vous le méritez bien."
Dans Bicentennial Man, le super méga navet mettant en vedette Robin Williams, un robot rêvait de devenir humain. Mais dans la vraie vie, c’est le contraire: c’est l’humain qui voudrait être une machine.
Rutilante, performante. Médium saignante.
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Une petite note pour vous rappeler que notre date de tombée de notre traditionnel Concours de nouvelles est le 7 septembre (thème de cette année: western). Vous n’avez plus que quelques jours pour nous envoyer vos écrits. À vos crayons, que diable!