Avez-vous des enfants qui fréquentent l’école primaire? Si oui, vous êtes dans la Réforme jusqu’au cou. Mais ne vous découragez pas: cette fois-ci, c’est la bonne. Notre système d’éducation est enfin sur la bonne voie.
C’est du moins ce que le ministre Legault nous promet.
Nous avons toutes les raisons d’être sceptiques. Après tout, ce n’est pas la première Réforme qui nous passe sous le nez. Pourquoi celle-ci serait-elle une réussite éclatante, alors que les précédentes ont si souvent échoué? Les hauts fonctionnaires auraient-ils eu une illumination? Notre ministre serait-il un génie?
Heureusement, nous ne sommes pas seuls dans cette galère. Comme le dit la maxime: "Quand on se regarde, on se désole. Quand on se compare, on se console."
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Le monde occidental au grand complet éprouve de sérieux problèmes avec l’école, et tous les gouvernements sont à la recherche d’une solution miracle susceptible de transformer le système de A à Z.
Prenez la France, par exemple. Dans le dernier numéro du Nouvel Observateur, Claude Allègre, ex-ministre de l’Éducation, vide son sac et livre un diagnostic impitoyable sur l’école française.
Les systèmes français et québécois, on le sait, sont fort différents. Pourtant, les propos vitrioliques d’Allègre collent assez bien à notre réalité. Que dit l’ex-ministre?
Premièrement, que l’éducation a été pervertie par les technocrates. Dans les cours de pédagogie, par exemple, on utilise l’expression "référentiel bondissant" pour parler d’un ballon! Et les cours où les élèves apprennent à écrire sont devenus des "ateliers de motricité rapprochée". Bref, l’éducation est un concept abstrait, complètement débranché de la réalité.
Deuxièmement, Allègre affirme que le système d’éducation est devenu beaucoup trop gros, un mammouth gigantesque hyper-centralisé, où tout part du sommet. Résultat: le système réagit trop lentement en cas d’erreur. "C’est comme pour les dinosaures: si on leur marche sur la queue, il faut attendre un temps fou avant que leur cerveau ne s’en aperçoive."
Troisièmement, le système est fait en fonction des profs, pas en fonction des élèves. "Les profs vivent entre eux, se marient entre eux, ne parlent que d’eux dans leur bulletin, de lancer Claude Allègre. On a créé une bureaucratie syndicale qui s’est progressivement souciée plus d’elle-même que de l’intérêt général."
Et quatrièmement, le système n’établit aucune distinction entre les profs qui se traînent les pieds et ceux qui sont passionnés par leur boulot. "Une espèce d’idéologie de la gauche molle s’est instaurée. Il n’y a pas de bons ni de mauvais profs. Mais c’est une vision horrible! Une vision mécanique, soviétique, même. L’effort comme le talent doivent être récompensés." À quand un véritable système d’évaluation des professeurs?
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Lorsqu’on lit les propos de Claude Allègre, on se rend compte que les systèmes d’éducation français et québécois, aussi différents fussent-ils, souffrent en fait des mêmes maux: hypertrophie, sclérose, corporatisme.
Et quels remèdes de cheval nos gouvernements respectifs proposent-ils pour guérir ce mal? Le même: la Réforme. Deux comprimés début septembre et hop! la douleur disparaît…
Malheureusement, la solution n’est pas si simple. Comme l’écrit Jacques Julliard dans le même numéro du Nouvel Obs: "La réforme est impossible, parce que la Réforme avec une majuscule n’existe pas. C’est une bulle de savon, une sphère immense dont le centre est nulle part; un fantasme de pédagogue. L’École de demain n’est pas affaire de réformes empilées jusqu’à plus soif, mais de pratique."
En d’autres mots, cessons de vouloir révolutionner le système de fond en comble, et contentons-nous d’apporter des correctifs là où ça ne va pas.
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Les Français et les Québécois ne sont pas les seuls à patauger dans la Réforme: les Américains aussi rêvent de rénover leur système d’éducation.
La célèbre pédagogue américaine Diane Ravitch vient tout juste de publier un nouvel ouvrage fort intéressant sur le sujet: Left Back: A Century of Failed School Reforms (une brique de 544 pages éditée par Simon & Schuster). Elle y fait la recension des différentes réformes ayant marqué l’évolution du système d’éducation aux États-Unis.
Sa conclusion: la Réforme n’est pas seulement un fantasme de pédagogues, comme l’affirme Julliard, mais un leurre qui a causé un tort considérables aux petites gens.
En effet, qui a fait les frais des différentes Réformes qui se sont succédé à un rythme fou au cours des dernières années? La plèbe. L’élite, elle, qui concevait ces pseudo-révolutions pédagogiques, envoyait ses enfants dans des écoles privées vivant à l’abri des changements.
L’expérimentation pour les autres, la tradition pour nous.
Réformer pour mieux régner.