Ondes de choc

La mort de César

Dieu, que la vue d’un cercueil nous rend polis!

Trudeau est mort presque trente ans jour pour jour après que son gouvernement eut adopté la Loi sur les mesures de guerre. Pourtant, personne, au cours de la dernière semaine, n’a parlé de la Crise d’octobre. On en a fait mention, certes, mais du bout des lèvres, en passant, presque à regret, comme si on avait peur que le souvenir de cette sombre période n’entache sa réputation de grand défenseur des libertés.

À en croire les commentaires entendus au cours des derniers jours, la déclaration de la Loi sur les mesures de guerre n’était qu’un détail dans la carrière de Pierre Elliott Trudeau, un événement parmi tant d’autres, une note en bas de page. "Il a décriminalisé l’avortement, il a voté la Loi sur les langues officielles et il a envoyé l’armée au Québec…"

Pourtant, suspendre les libertés individuelles afin de donner les pleins pouvoirs à la police, ce n’est pas rien, ça n’arrive pas tous les jours. Pourquoi ne pas en avoir parlé davantage, alors?

Probablement parce qu’on s’est dit que les critiques viendraient bien assez tôt. Que le temps était au recueillement, non aux règlements de comptes.

Si c’est cela, alors qu’on pousse la logique jusqu’au bout. Qu’on baisse la tête, qu’on se la ferme et qu’on laisse passer le cortège. Plutôt que de multiplier les formules creuses et les sourires polis.

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Il y a quelques semaines, Lucien Bouchard demandait au gouvernement fédéral d’adopter une loi antigang, afin de lui permettre de mieux combattre les gangs criminalisés. Il s’est fait claquer la porte au nez, sous prétexte qu’une telle loi brimerait les libertés individuelles.

Le 16 octobre 1970, il y a trente ans, Pierre Elliott Trudeau s’adressait aux citoyens canadiens afin de leur expliquer pourquoi son gouvernement avait voté, EN PLEINE NUIT, la Loi sur les mesures de guerre:

"La Loi sur les mesures de guerre accorde au Gouvernement des pouvoirs très étendus, déclara-t-il. Elle met aussi en suspens l’application de la Déclaration canadienne des droits de l’homme. Je peux vous assurer que ce n’est pas de gaieté de coeur que le Gouvernement assume de tels pouvoirs. Il ne s’y est résolu que lorsqu’il est devenu évident que la situation ne pouvait plus être maîtrisée autrement. Les pouvoirs que leur confère la Loi sur les mesures de guerre permettront aux gouvernements de parer aux dangers très graves que représentent pour la société les organisations terroristes. Le droit criminel, dans son état actuel, est insuffisant face à l’action du terrorisme systématique.

Par conséquent, il a été accordé à la police certains pouvoirs extraordinaires qui lui permettront de faire un travail de détection plus efficace, et d’éliminer le FLQ ou tout autre groupe préconisant l’usage de la violence à des fins politiques. Ces groupes et l’appartenance à de tels groupes ont été déclarés illégaux. Ces pouvoirs comprennent le droit de procéder sans mandat à des perquisitions ou à des arrestations, de détenir des suspects sans avoir à porter immédiatement contre eux des accusations précises, et de recourir à la détention sans cautionnement."

Suspendre les libertés individuelles pour coffrer des terroristes qui ont fait sauter dix boîtes à lettres et kidnappé deux diplomates est justifiable. Mais suspendre les libertés individuelles pour emprisonner des bandits qui ont causé la mort de cent cinquante personnes, dont un enfant, est inacceptable.

En 1970, peindre les lettres FLQ sur un mur d’école était un crime passible d’une peine d’emprisonnement (sans mandat ni procès). Mais en 2000, faire partie des Hell’s est parfaitement légal… même si vous devez avoir commis un meurtre pour pouvoir porter les couleurs du club.

C’est vrai qu’au dernier référendum, les Hell’s ont pris position contre l’indépendance du Québec. Ils ne représentent donc pas un danger public… contrairement aux profs et aux syndicalistes qui, il y a trente ans, militaient au sein du RIN et du FRAP, deux organisations hautement subversives qui menaçaient la survie de l’État.

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Trudeau avait plusieurs obsessions. L’une d’elles était de construire une société égalitaire, où les individus seraient jugés selon leur mérite.

Eh bien, comme tous les autres rêves de l’ex-premier ministre (le bilinguisme coast to coast, la mort du nationalisme québécois), celui-ci risque de partir en fumée. Depuis quelques semaines, on assiste en effet à la montée d’une aristocratie politique canadienne. L’équivalent de la dynastie Bush ou de la dynastie Kennedy.

Il y a Catherine Clark (le fille de Joe), qui fait la manchette de tous les journaux. Caroline Mulroney (la fille de Brian), qui a épousé un riche Américain lors d’un mariage hyper médiatisé. Et Justin Trudeau(le fils de Pierre) qui fait saliver les commentateurs politiques.

Aux États-Unis, Gore et Bush sont tous les deux des fils à papa, qui sont nés avec une cuillère dorée dans la bouche. Est-ce ce qui nous attend dans dix ans?