On a donc eu droit à une autre échauffourée entre les flics et les militants antimondialisation. C’est en train de devenir une tradition, tout comme les feux de Pointe-Saint-Charles à la fête de la Reine, ou le spring break des étudiants américains à Daytona Beach. Bientôt, si ça continue, les gens vont se pointer avec des chaises pliantes et des glacières.
"Vite, les enfants, on va rater l’émeute de 14 h! Prenez vos jus et vos toutous et montez dans l’auto!"
Pourquoi ne pas commanditer l’événement? Après les feux d’artifice Benson and Hedges, les émeutes Bud Light! Le clash pourrait être commenté en direct, comme le défilé de la Fierté gaie. "Et voici l’agent Joe Bonin qui charge dans le tas. Ohhhhh, quelle agilité! Bonin n’est pas seulement un grand cavalier, c’est aussi un as de la matraque. Il a la meilleure moyenne au bâton de toute l’escouade antiémeute."
Une émeute, par définition, c’est un événement spontané, un soulèvement passionnel de la foule. Les esprits s’échauffent, le ton monte, et les coups se mettent à pleuvoir. Mais dans le cas des manifs antimondialisation, il s’agit d’actes préparés, presque de mini-pièces de théâtre. Les différents acteurs se préparent des jours à l’avance. Les militants répètent leurs techniques de résistance dans un coin de campagne, les flics polissent leurs matraques, les médias réservent leurs meilleurs photographes… Puis tout le monde attend en se croisant les doigts. Les policiers espèrent que les jeunes vont se mettre à briser des vitrines (ce qui prouverait que les militants sont des voyous); les militants espèrent que les policiers vont s’énerver (ce qui prouverait que les flics sont des fachos); et les journaux espèrent qu’ils auront de belles images pour leur une (ce qui les aiderait à vendre de la copie).
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Je suis cynique? Peut-être. Mais je me demande ce que ces manifs réussissent vraiment à accomplir.
Pas que je sois en faveur de la mondialisation. En fait, pour tout vous dire, je ne suis ni pour ni contre. La mondialisation, c’est comme le clonage ou les aliments transgéniques: ça peut être utilisé à de bonnes fins, comme à de mauvaises fins. Rejeter la mondialisation les yeux fermés, c’est comme y croire les yeux fermés.
Philippe Duhamel, le militant du groupe Salami, est un gars articulé et extrêmement intelligent, capable de vendre un frigo à des Esquimaux. Une idée, comme ça: pourquoi ne mettrait-il pas sur pied une sorte de Centre de surveillance de la mondialisation? Au lieu d’affronter les flics dans des manifs qui tournent en rond (et qui regroupent toutes sortes de gens, autant des militants allumés que des anarchistes en mal de casse), il pourrait faire un véritable travail d’information, viser les compagnies là où ça fait vraiment mal: leur image, leurs portefeuilles.
La compagnie Machin exploite les travailleurs en Amérique du Sud? Sortez les chiffres, montrez les photos, et organisez un boycott à l’échelle nationale. La chaîne Truc a décidé d’améliorer le traitement de ses employés dans son usine de Djakarta? Qu’on l’encourage à aller de l’avant, et qu’on invite les consommateurs à fréquenter ses succursales.
Voilà une démarche qui serait vraiment constructive. Pas attaquer la mondialisation avec un grand M; mais les entreprises avec un grand E. Le nerf de la guerre, aujourd’hui, c’est l’argent. Et pour toucher ce nerf, pour le mettre à vif, ça nécessite plus que des slogans qui ratissent large.
Ça prend de l’information qui vise juste.
C’est moins spectaculaire qu’un militant qui se fait varger dessus à coups de matraque par un goon hystérique, je le concède, mais c’est autrement plus efficace.
Et je suis sûr que les compagnies trouveraient ça pas mal moins drôle qu’une manif organisée devant un gros hôtel, et qui vise des organisations abstraites dont personne n’a entendu parler.
Demandez à votre tante ce qu’est l’OMC ou le FMI: elle va hausser les épaules. Mais parlez-lui de Gap et de Shell, et elle comprendra tout de suite ce que vous dites.
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Une petite note, en terminant, pour attirer votre attention sur notre section Mode de vie. Dès cette semaine, une nouvelle rubrique s’y ajoutera: la page Bouffe. Notre critique Robert Beauchemin y traitera de gastronomie au sens large: aliments, recettes, épices, guides culinaires… Un rendez-vous hebdomadaire. Et un avant-goût des changements que nous mijotons en secret dans nos fourneaux…