Ondes de choc

La saison des platitudes

Au début des années 60, l’écrivaine Ayn Rand, auteure du best-seller The Fountainhead et chef de file de l’individualisme, l’un des mouvements philosophiques les plus importants de l’après-guerre, rédigeait une chronique hebdomadaire dans le Los Angeles Times.

Le 7 octobre 1962, en pleine campagne présidentielle, Rand signait un texte sur les élections. En voici un extrait:

"Au cours des prochaines semaines, il n’y aura aucune véritable discussion à saveur politique aux États-Unis. Nous sommes entrés dans la saison des platitudes: une campagne électorale.

Tous les sujets importants disparaissent pendant une campagne. Ils s’évaporent dans une sorte de brouillard linguistique rempli de termes caoutchouteux, ouverts à toutes les interprétations.

Cette semaine, le président Kennedy a dit que le Parti démocrate était celui de la compassion et du progrès; alors que le gouverneur Rockfeller, lui, a affirmé que le Parti républicain était celui de la croissance et de l’humanisme. Quel parti n’affirmerait pas une telle chose? Ces lieux communs se retrouvent dans les programmes de tous les partis à travers le monde! C’est pourtant sur la base de ces formules creuses que nous devons faire un choix.

S’il y a une période durant laquelle nous avons besoin de débats d’idées, c’est bien pendant une campagne électorale. Or, c’est justement dans cette période que nos esprits se brouillent…

Qui est responsable de cet état de fait? Les électeurs. Lorsque les citoyens comprennent les enjeux politiques et qu’ils ont des convictions solides, ils exigent la même chose de leurs politiciens. Mais lorsque les électeurs ne carburent qu’à l’émotion; lorsque tout ce qu’ils veulent, c’est que quelqu’un fasse quelque chose, n’importe quoi, pour régler leurs problèmes, ils se retrouvent avec des politiciens qui parlent en termes vagues, imprécis…

Une campagne électorale n’est pas la période idéale pour enseigner aux gens les principes politiques de base. Les candidats ne sont pas des profs, ils n’ont pas le temps d’expliquer l’ABC de la politique. Ils ne peuvent que tenter de répondre aux attentes des électeurs.

La cause première du marasme politique dans lequel nous pataugeons depuis des années trouve son origine dans nos écoles, dans la façon pitoyable dont nous enseignons la politique. Si nous voulons renverser la vapeur, nous devons former un électorat éduqué et allumé. Sinon, les gens vont continuer à voter CONTRE, et non POUR…"

Quarante ans plus tard, cette chronique d’Ayn Rand tient la route. On pourrait la publier texto, sans en changer un iota.

Les campagnes sont toujours aussi bêtes; on nous sert toujours les mêmes formules creuses et les mêmes images idiotes: le politicien proche des gens, qui embrasse les bébés et réconforte les vieillards… Gilles Duceppe donnant l’accolade à une mère de famille, façon Petit Père du peuple (une récupération pathétique de la Marche des femmes). Grand-papa Chrétien regardant avec fierté le Canada de demain jouer au ballon, en compagnie de son ministre des Finances. (Tout juste si on ne les montre pas en train de donner des bonbons au beurre aux enfants…)

Le degré zéro de la politique.

Comme le chante Lynda Lemay dans Roule-moi: "Ça sent le renfermé / Le déjà respiré / Ça sent le corps en panne / Ça sent la vie en canne…"

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Et le pire, c’est que ça marche.

Amenez-en, de la junk! Junk Food, Junk Ideas, Junk Culture… Concepts réchauffés qui nous bourrent sans nous nourrir, politiciens transgéniques créés en laboratoire à partir de six programmes différents, Démocrates avec gènes de Républicains, Libéraux shootés à l’Alliance, partis ni chair ni poisson, sans saveur ni odeur, vendus sous cellophane comme des Pizza Pockets…

Et pourquoi en serait-il autrement?

Pourquoi une multinationale comme MacDonald’s se mettrait-elle à cuisiner de bons petits plats équilibrés, alors qu’elle fait des milliards et des milliards de dollars en nous vendant de la merde?

Pourquoi les politiciens aborderaient-ils les vraies questions au lieu de débiter des âneries?

Regardez ce qui est arrivé à Ralph Nader, le candidat du Parti vert: il n’a remporté que 3 % des voix.

Pourquoi le réseau TVA se mettrait-il à diffuser des émissions intelligentes alors que Le Retour attire en moyenne 1 700 000 personnes par semaine?

Ne me dites pas qu’il n’y a rien de mieux aux autres postes à la même heure. Il y a toujours quelque chose de mieux.

Mais on ne le regarde pas.

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Un petit mot, en terminant, pour vous dire qu’à compter de cette semaine, Nicolas Tittley devient le nouveau chef de pupitre de notre section Musique. Il pourra compter sur l’aide de Frédéric Boudreault, propulsé journaliste Musique à temps plein. Eric Parazelli, qui a mené cette section de main de maître, continuera à collaborer avec nous, mais à titre de pigiste, Radio-Canada lui ayant mis le grappin dessus pour le site Internet de Bande à part. Comme disent les politiciens: beaucoup de changements… mais dans la continuité.