Ondes de choc

Ram Sam Sam

S’il y a un sujet qui semble faire l’unanimité chez nos politiciens, ces temps-ci, c’est l’éducation. Formation, économie du savoir, exode des cerveaux: on ne s’est jamais autant préoccupé de l’état de nos écoles.

Beaucoup de choses séparent nos élus; mais tous s’entendent pour dire que l’éducation est le nerf de la guerre, l’ingrédient indispensable à l’évolution de notre collectivité. Pas de diplômes, pas de croissance.

Le hic, c’est que notre société (particulièrement le Québec) a un sérieux problème de décrochage. Beaucoup de jeunes éprouvent des difficultés à l’école. Ils s’ennuient, glandent, coulent leurs examens…

Ce fort taux d’échec embarrasse nos élus. C’est comme une tache sur leur bulletin, la preuve que notre système d’éducation (donc, notre société au grand complet) traîne de la patte. François Legault, notre ministre de l’Éducation, a promis de renverser la situation, et de diminuer considérablement le taux d’échec. "Nos écoles, a-t-il déclaré, prendront le virage de la réussite."

Croyez-le ou non: il semble que le ministre ait réussi à tenir ses promesses. Grâce à la Réforme de l’éducation qui lancée à grands cris cet automne, le taux d’échec chutera effectivement de façon spectaculaire au cours des prochaines années.

Comment le ministre a-t-il accompli ce miracle? Simple: il a abaissé la barre au niveau du plancher. Désormais, seuls les décérébrés couleront. Tous les autres élèves, même les plus bêtes, passeront leurs examens les doigts dans le nez. Pourquoi? Parce qu’ils ne seront pas évalués.

Plus de compétition, plus de perdants!

Vive le modèle québécois!

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Au lieu de noter les élèves comme dans le temps (70 %, 80 %…), on les évaluera de façon "descriptive". On dira que l’enfant "chemine adéquatement dans le développement des compétences", ou qu’il " chemine difficilement". Pas de moyennes, pas de pourcentages. Rien qui ne puisse créer une certaine hiérarchie.

Plutôt que d’encourager les jeunes à se dépasser, à viser plus haut et à voir plus grand, on les encourage au contraire à demeurer là où ils sont et à se contenter de ce qu’ils ont.

"S’éduquer, c’est s’asseoir sur les épaules des géants", dit le proverbe. Profiter des connaissances des autres, se hisser sur une échelle pour mieux admirer le paysage. Au Québec, on fait le contraire. Le géant t’impressionne? Coupe-lui les jambes, comme ça il sera à ta hauteur, et tu n’auras plus honte de tes limites.

C’est comme le gag du gars qui a une jambe de bois. Il va à l’Oratoire, et il dit: "Mon Dieu, aidez-moi, rendez ma jambe semblable à l’autre." Et il ressort avec deux jambes de bois…

Un de mes amis a une petite fille de huit ans. Elle a vécu en France pendant deux ans. À l’école, elle apprenait des chansons de Prévert, de Montand, de Brel. Puis, à cause de raisons familiales, elle est revenue au Québec.

Quel genre de chansons apprend-elle, maintenant?

Ah Ram Sam Sam

Ah Ram Sam Sam

Ti Gui Di Gui Di Gui Di

Ram Sam Sam

C’est bon pour l’apprentissage du rythme, paraît-il. Et ce qui est fantastique, c’est que tous les gamins peuvent la chanter. Personne n’oublie les paroles.

J’imagine que dans l’harmonie de l’école, on a banni les instruments "élitistes" comme le saxophone et la flûte traversière, qui demandent talent et dextérité. À la place, tout le monde joue du tambour. Boum boum boum. Pow pow pow. Regarde, maman, je suis musicien.

Moi aussi.

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Tenez, j’ai une suggestion pour les prochains bulletins. Pourquoi ne pas adopter l’évaluation suivante?

1. Votre enfant est pas pire.

2. Votre enfant est pas pire pantoute.

3. Votre enfant est pas mal pas pire.¸

4. Votre enfant est dans le très pas mal pas pire.

Comme ça, tout le monde serait content.

Au lieu de tester les élèves pour savoir lesquels accèdent au niveau suivant et lesquels redoublent leur année, on pourrait organiser des tirages au sort. On remet un gratteux à chacun au début du dernier cours. Ceux qui ont un numéro pair passent; ceux qui ont un numéro impair coulent.

Ce serait plus démocratique.

Les gagnants, au Québec, on les aime comme ça: choisis au hasard. Des gens comme vous et moi, sans talent remarquable, qui écrivent de jolies rimettes et qui font de belles grimaces. Des chanceux dont le seul mérite a été d’être à la bonne place au bon moment. Ç’a aurait pu être nous, mais ce sont eux. Nous n’avons pas à rougir, ils ne sont pas meilleurs que nous; tout ce qu’ils ont fait, c’est de tomber sur le bon numéro, c’est tout.

La prochaine fois, ce sera à notre tour.

Ah Ram Sam Sam…