Ondes de choc

Bob & Carole & Ted & Alice

C’est l’histoire de Bob et Carole et Ted et Alice, quatre amis qui travaillent dans la même tour à bureaux, au centre-ville de Montréal.

Chaque matin, Bob et Carole et Ted montent dans l’auto d’Alice pour se rendre au boulot. Idem pour le retour. Tous les passagers paient six dollars par semaine pour leur transport – sauf Ted, qui ne paie que trois dollars et demie.

Chaque midi, Bob et Carole et Ted et Alice se font venir une pizza all-dressed extra-large, extra-fromage et extra-pepperoni. Chacun débourse quatre dollars pour sa part de pizza – sauf Ted, qui ne paie que deux dollars et demi.

Ted est-il pauvre? A-t-il des problèmes de fric? Du tout. En fait, c’est le plus riche de la bande. Il a une grosse bagnole de l’année et un VTT qu’il garde jalousement dans son garage chauffé. Mais voilà, Ted ne veut pas payer le même prix que les autres. Il trouve que c’est trop cher.

Alors il paie 75 % de ce qu’il devrait débourser… tout en profitant des mêmes services que ses copains.

Vous me voyez venir avec mes gros sabots?

L’histoire de Bob et Carole et Ted et Alice, c’est l’histoire de l’île de Montréal.

Tout le monde est dans le même bateau, tout le monde profite des mêmes services, tout le monde emprunte les mêmes routes pour aller travailler… mais certains déboursent moins que les autres.

C’est le cas d’Outremont et de Westmount, par exemple.

À Westmount, la taxe résidentielle est de 99 cents par tranche de 100 dollars d’évaluation (1,18 dollar, si l’on tient compte de la dette municipale); alors qu’à Montréal, elle est de deux dollars. Pourquoi cette différence?

Parce que.

Certains citoyens de Westmount affirment qu’ils paient moins de taxes parce que leur ville est mieux administrée. Duh… Facile d’administrer une municipalité quand 90 % des citoyens sont pleins aux as, qu’ils sont à deux doigts de la retraite et que le centre-ville est constitué d’un fleuriste, d’un antiquaire et de trois magasins de pipes!

L’idée derrière la fusion, c’est ça: en finir avec les enclaves et s’assurer que tout le monde paie sa juste part. Ted bénéficie des mêmes services que ses amis? Alors qu’il crache son six dollars comme tout le monde!

Sinon, il n’a qu’à se rendre au boulot par ses propres moyens.

***

Mais voilà, même si la logique derrière les fusions est imparable, Lucien Bouchard se heurte à un mur de résistance.

Les gens des petites municipalités ne sont pas contents. Surtout ceux des petites municipalités riches. Ils disent qu’ils ne veulent pas perdre leur patrimoine, qu’ils sont attachés à leur ville, à son histoire. Mais dans le fond, ce qu’ils craignent comme la peste (mais qu’ils n’osent pas avouer, de peur de paraître snobs), c’est d’être soudainement envahis par la plèbe. Que les Montréalais "pure laine" de Hochelaga-Maisonneuve profitent de la fusion pour ouvrir des crack-houses à Ville Mont-Royal. Et que les "pouilleux" de Ville Lemoyne organisent des tournois de fers dans les parcs de Saint-Lambert.

Ils ont peur que les fusions nivellent leur qualité de vie par le bas.

Or, c’est du pur délire. Les fusions ne transformeront pas Outremont en Pointe-Saint-Charles. Ce n’est qu’un changement administratif. Au lieu d’envoyer leur chèque à Jérôme Unterberg, les habitants d’Outremont l’enverront à Pierre Bourque. L’épicerie Cinq Saisons continuera de vendre ses produits deux fois plus cher qu’ailleurs; Marc Messier et Audrey Benoît continueront de prendre leur café au lait au Café Souvenir, et la petite fontaine du parc Outremont continuera de faire de jolis glouglous au printemps.

La seule différence est que les habitants d’Outremont, de Ville Mont-Royal et de Westmount (ceux-là même qui discutent de l’importance de la solidarité en buvant un double latte crème pendant que leurs enfants habillés chez Deslongchamps se font garder par des nannies venues des Philippines) risquent de voir leurs comptes de taxes augmenter.

Hon.

Cela dit, il ne faut pas être dupe. Si le gouvernement du Québec veut créer une grosse entité municipale, ce n’est sûrement pas pour nos beaux yeux. C’est que c’est plus facile de pelleter ses dettes dans une grosse carrière plutôt que dans douze petites cours.