La claque
Ainsi, le peuple a parlé. Et il a décidé de reporter Jean Chrétien au pouvoir.
Cela, malgré la loi sur la clarté, les accusations de patronage, le scandale de Cinar, le poivre de Cayenne à l’APEC, le cafouillage des Ressources humaines, la réforme de l’assurance-chômage, les Bourses du Millénaire, sa méconnaissance totale des grands enjeux internationaux, son entêtement à empiéter sur les champs de compétence du Québec, et la vingtaine d’enquêtes actuellement en cours sur les agissements de son gouvernement.
Ben coudon. Et l’on continue de parler de l’intelligence de l’électorat…
Finalement, Chrétien aura eu raison sur toute la ligne. Raison de distribuer des cadeaux à droite et à gauche, de s’accrocher au pouvoir, de déclencher des élections avant le temps, de fermer la gueule du Québec et de diriger le Canada comme si c’était son jouet, sa petite chose. On a beau se moquer de sa bouche croche et entarter chacun de ses ministres, le bonhomme est mort de rire.
Même la Gaspésie, une région pourtant directement touchée par la réforme de l’assurance-chômage, a voté pour lui!
Chrétien a maintenant toutes les raisons du monde de dire au Québec: "Shut the fuck up!"
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Dans Sortie de secours, son tout dernier bouquin, l’ex-conseiller de Lucien Bouchard, Jean-François Lisée, nous avait justement mis en garde contre une telle victoire de Jean Chrétien. Dans une entrevue qu’il nous avait accordée le 9 mars, il tenait ces propos:
"Jean Chrétien a juste besoin de 46 % des votes, lors des prochaines élections fédérales, pour dire que son gouvernement a plus de légitimité que celui de Lucien Bouchard. Non seulement Lucien Bouchard a-t-il moins de votes que Jean Charest, mais il aura moins de votes que Jean Chrétien! Vous imaginez la situation? Le premier ministre du Québec se retrouvera dans une position intenable, et Chrétien aura toutes les raisons du monde de continuer d’empiéter sur nos juridictions. Il dira: "J’ai eu raison d’isoler le Québec lors de l’Union sociale, de l’étrangler financièrement, de proposer la loi du cadenas référendaire… Achalez-moi plus!" Il ne retournera même plus les appels de Jean Charest…"
Lundi, au Québec, le Parti libéral de Jean Chrétien a eu 44,16 % des voix (contre 39,85 % pour le Bloc). Alors qu’aux dernières élections provinciales, le PQ de Lucien Bouchard avait eu… 42,7 % des voix.
Chrétien a plus de légitimité au Québec que notre premier ministre provincial! Ça fait dur.
Il faut dire que seulement 59 % des gens sont allés voter, lundi. Où étiez-vous, bordel de merde? Que faisiez-vous? Il y a des gens, à travers le monde, qui se battent jusqu’au sang pour avoir le droit de voter. Et nous, pendant ce temps-là, on boude les scrutins pour pouvoir regarder une reprise des Simpson.
Attaboy! Un autre verre de Denis aux fraises, avec ça?
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Mais pourquoi les Québécois n’ont-ils pas voté davantage pour le Bloc? Après tout, Gilles Duceppe a fait une campagne sans faille…
"Parce que les Québécois ne veulent pas entendre parler de souveraineté", répondent la plupart des commentateurs. C’est exactement ce que nous avait dit Lisée en mars dernier.
"Actuellement, que dit-on aux électeurs québécois? "Si vous voulez l’indépendance, votez pour le Bloc. La victoire du Bloc est l’une des conditions gagnantes." Or, les Québécois ne veulent pas entendre parler de souveraineté. Ils voteront pour qui, alors, aux prochaines élections fédérales? Pas pour les Conservateurs, car Charest a quitté le parti. Il ne leur restera donc que le Parti libéral. Actuellement, la stratégie des souverainistes pousse une partie des Québécois dans les bras de Chrétien…"
Il semble que Lisée ait vu juste. En parlant autant de souveraineté, en faisant de l’élection de leur parti l’une des fameuses conditions gagnantes, les Bloquistes se sont tiré dans le pied.
Avec le résultat que le Bloc a perdu sept comtés.
Et que Johnny est plus fort que jamais.
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Cela dit, les gens ont tort d’associer le Bloc à la souveraineté. Ce n’est pas vrai qu’un vote pour le Bloc est un vote pour l’indépendance.
Un vote pour le Oui est un vote pour l’indépendance. Mais pas un vote pour le Bloc, ni même un vote pour le PQ. Je dirais même que c’est le contraire. Tant qu’il y aura un parti pour défendre leurs intérêts à Ottawa, les Québécois ne seront pas pressés de se séparer. Le Bloc est une véritable police d’assurance contre une éventuelle séparation.
Imaginez Ottawa sans le Bloc; que des Libéraux et des membres de l’Alliance. On n’aurait pas le goût de claquer la porte? Ben tiens…
Mais voilà, les gens ont quand même eu peur. Ils n’ont pas voté pour le Bloc – because la séparation, et because les fusions. On se retrouve donc avec le Cheuf, plus fort que jamais.
C’est ce qu’on appelle "prendre son trou".