Ondes de choc

Docteur Folamour

Avez-vous vu Thirteen Days? C’est un excellent film sur la crise des missiles de Cuba, qui a failli plonger le monde dans l’horreur nucléaire au tout début des années 60.

Ce long métrage mettant en vedette Kevin Costner montre comment nous sommes passés à un cheveu de la catastrophe. N’eût été le leadership extraordinaire de John F. Kennedy (c’était l’époque où les chefs d’État avaient de l’étoffe, des couilles et de la culture, trois qualités inconnues des gérants de caisses Pop qui dirigent actuellement nos gouvernements), nous serions probablement en train de manger des pissenlits fluorescents par la racine.

Je suis allé voir Thirteen Days en me disant que ce serait un film sur l’affrontement entre Kennedy et Khroutchev. Erreur: c’est un film sur l’affrontement entre Kennedy et le Pentagone. Les méchants, dans cette histoire, ne sont pas tant les Russes que les militaires américains qui voulaient absolument profiter de la situation pour sortir leur arsenal et essayer leurs nouveaux joujoux. Pour eux, la crise des missiles de Cuba était un cadeau du ciel: le prétexte rêvé pour sortir leurs avions, leurs bombes et leurs canons.

En fait, Kennedy, dans toute cette histoire, avait un allié: Khroutchev. Comme le président des États-Unis, le leader du Kremlin voulait à tout prix éviter la guerre. Mais voilà, les hauts gradés de l’Armée rouge (aussi bien que les généraux de la U.S. Army) n’acceptaient pas de lâcher leur os et complotaient dans les coulisses afin de saborder toute tentative de règlement pacifique. Ils désiraient la guerre et faisaient tout pour l’avoir.

Thirteen Days (comme Doctor Strangelove de Kubrick et Fail Safe de Sidney Lumet) dénonce la logique tordue des militaires. Le film de Roger Donaldson montre que l’appareil militaire est une énorme machine qui ne vise qu’un seul et unique but: passer en mode Action. Servir ses propres intérêts, et non les intérêts supérieurs du pays.

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Pourquoi est-ce que je vous parle de Thirteen Days? Parce que George W. Bush vient tout juste d’annoncer qu’il ira de l’avant avec le mégaprojet de bouclier antimissile, malgré l’opposition de presque tout le monde.

Selon plusieurs scientifiques (dont David Wright et Theodore Postol, du célèbre MIT, qui ont étudié le projet pendant plus d’un an), ce système, censé protéger le territoire américain d’une éventuelle attaque nucléaires, est tout à fait inutile. Les moyens technologiques utilisés par le Pentagone sont déjà obsolètes, disent-ils, et le "super bouclier" rêvé par Ronald Reagan dans les années 80 sera aussi étanche qu’une passoire. Qu’importe: George W. donnera quand même le feu vert au projet, et débloquera les 60 milliards de dollars nécessaires à sa mise sur pied.

Vous avez bien lu: 60 milliards de dollars. Tout ça, dans un pays où les systèmes de santé et d’éducation sont à la dérive.

Pour Bruce Blair, du Center for Defense Information, un organisme regroupant plusieurs officiers de l’armée à la retraite, le Pentagone se sert du bouclier antimissile comme d’un ticket d’entrée. Le projet en soi ne les intéresse pas: l’important, c’est qu’il permettra à la machine militaire d’accélérer ses activités dans l’espace. Aujourd’hui, le bouclier; demain, les armes offensives.

George W. Bush ne perd pas de temps. Il n’avait pas fini de ranger ses boîtes dans la Maison-Blanche que, déjà, il renvoyait l’ascenseur aux organismes ayant financé son élection. Il a coupé les vivres aux organisations prochoix basées à l’étranger afin de faire plaisir aux militants anti-avortement. Il a passé une loi permettant la subvention des organismes religieux. Et il vient maintenant d’offrir un cadeau en or aux haut gradés de l’armée.

Selon plusieurs observateurs, la mise sur pied d’un bouclier antimissile risque de relancer la course aux armements. C’est la théorie Hygrade: plus mon bouclier est gros, plus tes armes sont puissantes; plus tes armes sont puissantes, plus mon bouclier est gros…

Bref, on risque la surenchère, comme dans les années 50.

Mais voilà: l’armée s’en sacre. L’important, pour elle, est de pouvoir se payer un nouveau joujou; c’est la première étape.

Ensuite, lorsqu’il sera fonctionnel, elle voudra s’en servir…

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La droite américaine a eu le temps de réfléchir, ces dernières années. Elle a profité de cette semi-retraite pour développer toutes sortes de jolis concepts.

Il y a deux semaines, elle a mis fin à sa période d’hibernation, s’est loué un U-Haul, et s’est installée à la Maison-Blanche.

Attachez vos tuques.