Ondes de choc

Fight Club

Comme vous le savez sans doute, la XFL a lancé sa saison le week-end dernier. La XFL, c’est la Ligue de football extrême, un croisement bâtard entre le football américain et la lutte professionnelle. Tous les coups sont permis, ou presque. À côté du football extrême, le football traditionnel est aussi brutal et aussi défrisant qu’une partie de pétanque au parc Laurier.

Au Québec, nous n’avons pas encore d’équipe de la XFL. Mais nous avons mieux: la politique extrême. Un sport de contact qui ferait peur à Stone Cold Steve Austin lui-même.

La semaine dernière, deux ministres poids lourds se sont affrontés dans un match particulièrement violent: François Legault, ministre de l’Éducation, et Pauline Marois, ministre de la Santé.

L’affrontement s’est déroulé dans un sous-sol du Complexe G, à Québec, en présence des autres membres du Conseil des ministres. Dans le coin droit, il y avait madame Marois, en survêtement de jogging; et dans le coin gauche, monsieur Legault, en camisole. Entre les deux, au beau milieu de la salle: un sac contenant 400 millions de dollars. Le premier qui mettrait la main sur le sac verrait le budget de son ministère augmenter. Quant au perdant, il devrait quitter la salle sur-le-champ, se rhabiller en quatrième vitesse et annoncer aux électeurs qu’il lui faudrait effectuer d’importantes coupures budgétaires dans son ministère.

Au son de la cloche, actionnée par Lucien Bouchard, les deux concurrents ont foncé l’un vers l’autre avec la fureur d’un troupeau de gnous excités par la vue d’un chiffon rouge. Monsieur Legault avait une bonne longueur d’avance sur son adversaire, mais malheureusement, Bernard Landry (l’arbitre désigné de la soirée) lui a fait une jambette. Résultat: Pauline Marois a remporté la cagnotte, sous les applaudissements de ses consoeurs et confrères. Et François Legault a pris le chemin des douches.

Dur, dur, le monde de la politique.

***

Voilà où nous en sommes, au Québec. Il faut choisir entre la santé et l’éducation. On ne peut plus avoir les deux. Ou on engage de nouveaux profs, ou on ouvre de nouveaux lits. C’est l’un ou c’est l’autre. Le développement des cerveaux versus la lutte contre le cancer.

Que voulez-vous, on ne peut pas jeter notre argent par les fenêtres. Il faut se garder une couple de milliards de dollars, au cas où une entreprise taïwanaise spécialisée dans la fabrication de semi-conducteurs déciderait de s’installer sur un terrain vacant de Sainte-Anne-de-Bellevue.

Car dès qu’il est question de création d’emplois, Dieu qu’on n’hésite pas! Dieu qu’on ne compte pas nos sous!

"Vous voulez qu’on subventionne les salaires de vos employés? Pas de problème, monsieur Tchang! Vous voulez qu’on construise une route menant à votre usine? Considérez ça comme fait! Vous voulez des subventions spéciales? Ne vous gênez pas, prenez le menu et choisissez à votre guise: vous trouverez certainement le programme de subvention qui vous plaît. Une subvention pour la construction de toilettes V.I.P. qui ne font pas de bruit quand vous flushez? Quel excellent choix! Monsieur est un fin connaisseur. Prendriez-vous une p’tite exemption de taxes, avec ça?"

Et le pire, c’est qu’on ne se choque même plus. Tout ça nous paraît parfaitement normal. "On n’a pas d’argent pour l’éducation? Bof, on se débrouillera. De toute façon, les profs se plaignent toujours le ventre plein. La santé, c’est beaucoup plus important."

Des choix qui, hier encore, nous paraissaient abominables semblent maintenant dans l’ordre normal des choses. On y consacre même des débats télévisés: Devrait-on poser des pacemakers à des vieillards de 75 ans? Devrait-on faire des pontages coronariens à des fumeurs? Devrait-on maintenir les comateux en vie?

Ça coûte cher, des comateux! Et qu’est-ce que ça rapporte à la société? Rien. Ils restent là, les yeux ouverts, à fixer bêtement le plafond. Vous savez combien ça coûte, maintenir des comateux en vie? Des dizaines de milliers de dollars, une somme précieuse qu’on pourrait investir dans nos universités. Que préférez-vous: maintenir en vie des cerveaux morts, ou permettre à des cerveaux vivants de se développer?

***

C’est ça, le Québec d’aujourd’hui: l’éducation ou la santé. Et quand on répond qu’on veut avoir les deux, nos gouvernants soupirent et nous demandent d’être responsables, de regarder la réalité en face, de faire des choix.

Des choix qu’aucune société ne devrait faire.