Ondes de choc

Un homme de coeur

C’est fou comme on juge les gens rapidement, au Québec.

Prenez les bonzes de la haute finance internationale, par exemple. On dit souvent que ces individus n’ont pas de coeur, et qu’ils ne pensent qu`à l’argent. C’est faux: la plupart sont des êtres sensibles, capables de pleurer à la vue d’un documentaire sur les castors.

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Bernard Landry.

Le 2 mars, lorsque le ministre des Finances a été sacré leader du Parti québécois lors d’un light show qui aurait fait rougir d’envie Pink Floyd (il ne manquait qu’un cochon en plastique survolant l’auditoire, et on se serait cru au Stade olympique en 1976), il a ouvert son discours en vantant l’hypersensibilité des participants du Forum économique de Davos, en Suisse.

"Comme vous, j’ai entendu il y a quelques minutes Le Plus Beau Voyage, de Claude Gauthier. Figurez-vous qu’au tout début de février, cette magnifique musique a retenti dans les hauteurs d’une petite ville des Alpes suisses où nous allons chaque année représenter le Québec pour des raisons extrêmement matérielles et matérialistes: la chasse aux investissements et aux investisseurs. Cependant, la délégation nationale du Québec à ce Forum est la seule à présenter une soirée culturelle. Un formidable groupe du Lac-Saint-Jean y a présenté un spectacle au son de la chanson de Claude Gauthier. Eh bien, à la toute fin du spectacle, dans cet auditoire peu porté sur le romantisme, à la fin de ce grand crescendo, en voyant défiler les lacs, les rivières, les montagnes du Québec et des images de notre magnifique capitale nationale, la plupart des gens présents avaient les larmes aux yeux."

C’est pas beau, ça?

Le jour, les participants de Davos se demandent comment ils pourraient affaiblir davantage le pouvoir des États et renforcer celui des entreprises; et le soir, ils pleurnichent en regardant défiler des images du Château Frontenac et de la rivière aux Outardes.

Il paraît que James D. Wolfensohn, le président de la Banque mondiale, était tellement ému à la vue d’une volée de canards survolant la Yamaska qu’il est sorti en trombe de la salle et qu’il est allé pleurer tout seul dans sa suite.

Heureusement, le lendemain, tout était rentré dans l’ordre. Wolfensohn avait repris ses forces, et prononçait un discours musclé sur l’importance pour les pays du Tiers-Monde d’investir moins d’argent dans leurs programmes sociaux, histoire de créer un climat économique favorable aux entreprises étrangères.

Bref, le monde est passé à deux doigts de la catastrophe. Un peu plus, et les danseurs folkloriques du Lac-Saint-Jean ralentissaient la marche de l’économie mondiale.

C’est dire toute la force du folklore québécois. Toute la beauté de nos paysages. Toute la puissance de notre culture.

***

Ce n’est pas pour rien que Bernard Landry a ouvert son discours avec cette ode à Claude Gauthier. Tout son discours visait à nous montrer qu’il n’était pas uniquement un homme d’argent, froid, austère et calculateur (oserais-je dire antipathique?), mais aussi un homme de coeur et de culture.

Et quoi de mieux que de faire appel à l’art pour séduire les foules?

C’est toujours la même rengaine: le pouvoir sort les artistes de la garde-robe lorsqu’il en a besoin, puis les y retourne lorsqu’il s’en est servi.

Le gouvernement de Jacques Parizeau a fait exactement la même chose lorsqu’il s’est mis en tête d’écrire le prologue d’une éventuelle Constitution d’un Québec indépendant. On a eu recours à Marie Laberge et à Gilles Vigneault; et on a projeté les mêmes maudites images de canards, de rivières et de champs de blé. On aurait dit le petit clip patriotique diffusé à Radio-Canada après le film de minuit.

Bernard Landry veut nous convaincre qu’il a la culture à coeur? Parfait. Qu’il investisse dans l’éducation, les bibliothèques publiques, les arts. Voilà ce qu’on attend d’un premier ministre. Pas seulement de se pointer à Davos avec une troupe de danseurs folkloriques, six cannes de sirop d’érable et un diaporama sur les Îles-de-la-Madeleine.

À moins que pour monsieur Landry, la culture soit de la confiture qu’on étend pour attraper les mouches…