Ondes de choc

Pot: la double hypocrisie

C’est cette semaine qu’a débuté le procès de Marc-Boris Saint-Maurice et Alexandre Néron.

Ces deux bénévoles qui travaillent au Club Compassion sont accusés de possession et de trafic de stupéfiants. Dit de cette manière, ça semble mauditement sérieux. On pense au cartel de Cali, à des valises bourrées de fric, à des avions remplis de sacs de poudre…

En réalité, Néron et Saint-Maurice ne sont pas à la solde de la mafia. Tout ce qu’ils font, c’est de procurer du pot à des malades qui ont besoin d’une dose de THC pour alléger leurs souffrances.

La lutte contre le pot est en train de devenir complètement grotesque. Ce n’est plus absurde: c’est carrément révoltant. Une énorme perte de temps et d’argent. Selon la National Organization for the Reform of Marijuana Laws (NORML), un organisme américain luttant pour la décriminalisation des drogues douces, le combat contre le pot coûte plus de 7,5 milliards de dollars par année aux États-Unis seulement. Et qu’est-ce que tout ça a donné? Rien, strictement rien. N’importe quel bozo peut trouver du pot à cinq minutes de chez lui. En fait, on n’a même plus besoin de mettre le pied dehors: les pushers sont maintenant équipés de pagette, et font la livraison à domicile. Tout juste s’ils ne vous remboursent pas si votre joint n’arrive pas dans les trente minutes…

Heureusement, les choses commencent à changer. Le gouvernement canadien, par exemple, songerait à adopter bientôt un règlement permettant aux malades chroniques de posséder, de cultiver et de consommer de la marijuana.

C’est un pas dans la bonne direction. Mais c’est aussi honteusement hypocrite.

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Car cessons de nous leurrer: l’adoption d’un tel règlement ne changera strictement rien. Certes, des milliers de malades pourront maintenant se faire venir un petit sac de mari cultivée au fond d’une mine de Flin-Flon, gracieuseté de Santé Canada. Mais on continuera d’engouffrer des sommes astronomiques dans une lutte stérile et surréaliste.

Les tenants de la prohibition craignent que la légalisation du pot à des fins thérapeutiques n’ouvre la porte à une légalisation générale. Je ne sais pas s’ils ont raison; mais je le souhaite. J’espère qu’une fois que les anti-prohibitionnistes auront réussi à mettre le pied dans la porte, via des dossiers comme celui du Club Compassion, ils feront tout en leur pouvoir pour la faire sortir de ses gonds.

Ce discours sur les vertus thérapeutiques du pot est bien joli. Mais il est aussi hypocrite que le discours des tenants de la ligne dure. Dans le coin droit, on dit que le pot est une herbe qui rend fou; dans le coin gauche, on affirme que c’est un médicament qui accomplit des miracles.

D’un côté comme de l’autre, on fait des contorsions spectaculaires pour cacher la vérité: à savoir que le pot est une drogue récréative inoffensive, que l’on consomme d’abord et avant tout pour triper.

Pas pour alléger nos souffrances: pour triper, point. Pour relaxer, pour s’envoyer en l’air, pour échapper aux pressions de la vie quotidienne, de plus en plus stressante et de plus en plus inhumaine.

Un médicament, le pot? Pour les personnes atteintes de dystonie musculaire dégénérative, oui. Mais pour la plupart des individus, le pot est une drogue récréative, au même titre que la bière.

Pourquoi les gens se ruent-ils dans les bars une fois la journée de travail terminée? Pour vivre une expérience gastronomique? Pour goûter du bout des lèvres la dernière bière belge à la mode? Non: pour rigoler, pour oublier le patron. Pour caler trois broues d’affilée, et ressentir un petit buzz.

Tant qu’on ne parlera pas de ça, on parlera dans le vide.

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Affirmer que le pot est un médicament, c’est comme dire que le sexe est bon pour la santé. Désolé, mais si on fait l’amour, ce n’est pas pour améliorer son rythme cardiaque, brûler des calories ou lutter contre le cholestérol. C’est parce que c’est l’expérience la plus extraordinaire qu’un être humain peut vivre sur cette planète.

Le jour où les gens pourront baiser n’importe quand avec n’importe qui, ne vous inquiétez pas, ils ne se lèveront pas à sept heures du matin pour traverser le pont et se rendre au bureau: ils resteront chez eux et passeront leurs journées au lit.

C’est ça, le sexe: le plaisir pur. Toute autre discussion sur ses vertus thérapeutiques est de la foutaise. Le New England Journal of Medicine aurait beau affirmer qu’il n’y a rien de mieux pour la santé que de prendre son bain dans le pétrole, je ne le ferais pas. Pour la simple raison que je n’y prendrais aucun plaisir.

Oui, les bénévoles du Club Compassion ont raison de se battre pour le bien de leurs patients. Mais qu’on cesse de se draper dans les beaux oripeaux du langage pharmacologique. S’il faut mettre fin à la prohibition des drogues douces, ce n’est pas parce que le médecin Machin-Truc de Harvard a trouvé que la marijuana de Flin-Flon contenait une substance bénéfique pour les gens atteints du cancer des os: c’est parce que c’est une lutte absurde, sans queue ni tête, et d’une hypocrisie sans nom.

Il est temps qu’on l’écrive noir sur blanc.

Et qu’on cesse, d’un bord comme de l’autre, de jouer les tartuffes.