Ondes de choc

Swinguez votre compagnie!

"Fuck le Sommet!
Garde-la, ta monnaie!
Garde tes déchets!
Fuck le Sommet!
Ben oui l’Amérik, et puis après?
J’en ai rien à crisser, retournez chez vous, gang de frais!
FMI, bullshit!
ZLÉA, bullshit!
Pis OMC, ben fuck that shit!
Pis l’gouvernement là-dedans?
C’est bien les pires sacrament.
Tout l’temps dans l’champ.
Landry, c’est un fifi! Chrétien, un crétin! Charest, un épais!
En avril, ça s’passe à Québec. Nous autres, on va foutre la merde, ‘stie. Y vont parler de nous autres s’a BBC. Jusqu’en Australie.
Criss, on n’a pas fini! Des rimes, j’en chie!
Révolution, passons à l’action!"

Vous ne connaissez pas cette jolie ritournelle? C’est la dernière chanson du groupe rap Nasty Fuckers Krew. Une réflexion particulièrement éclairante (et éminemment instructive) sur les grands enjeux de la mondialisation.

Les membres de Nasty Fuckers Krew (qui s’appellent T-Beurnak et Fucktamèreparenarrière, et dont la devise est: "Notre pays, nous l’aurons, tabarnak") ont décidé de sauter dans le train de l’antimondialisation pour passer leur, hum, message.

Ils feront partie des milliers de personnes qui, du 16 au 22 avril, lèveront le poing devant les caméras du monde entier, histoire de montrer aux gros méchants capitalistes de quel bois elles se chauffent.

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La semaine prochaine, la ville de Québec sera l’hôte du plus gros cirque à jamais avoir été monté en territoire américain.

Tout le monde et son frère s’y donnera rendez-vous afin de pousser sa cause. Jusqu’au gouvernement québécois qui profitera de l’occasion pour projeter des films de propagande sur un écran géant! (Aux dernières nouvelles, Raël n’avait encore rien prévu, mais ça ne saurait tarder. Une occasion publicitaire de cette envergure, ça ne se rate pas.)

De tous les militants qui seront présents à Québec, combien saisissent vraiment les enjeux de ce dossier hyper-complexe? Combien comprennent les rouages de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, du G8?

Combien seraient capables de débattre des tenants et aboutissants de la mondialisation sans répéter bêtement les vieux slogans anticapitalistes: "Fuck le FMI", "Bullshit la ZLÉA"?

Pour chaque Philippe Duhamel, combien de jeunes à la recherche d’un party, de casseurs à la recherche de fenêtres à briser, d’artistes en herbe à la recherche de causes à défendre, et de poètes en mal de public?

À l’origine, le Sommet de Québec était un événement de nature économique. Mais c’est en train de devenir un véritable happening culturel. Comme l’a écrit Naomi Klein dans le magazine progressiste The Nation, les militants antimondialisation qui courent les Sommets sont en train de ressembler aux groupies qui suivaient les Grateful Dead dans les années 80. Ils font maintenant partie du paysage. Chaque Sommet a son cirque, ses trouble-fêtes, ses marionnettistes.

Je te bouscule et tu me matraques. Tu me harcèles et je te dénonce. Prenez tous votre position, et quand je dirai go, regardez-vous et puis swinguez votre compagnie.

Et pendant ce temps-là, loin des caméras et du tohu-bohu, des hommes en cravate discuteront du sort du monde. Et les représentants des pays en voie de développement tenteront du mieux qu’ils le peuvent de se faire entendre, histoire de grossir leur part du gâteau.

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Je ne dis pas que ces manifs ne servent à rien. Mais à force de se répéter, elles perdent un peu de leur impact.

On ne sait plus si ce sont des événements de nature politique, ou tout simplement des mini-Woodstock, une sorte de spring break pour anarchistes.

En avril, les jocks se rendent à Daytona pour boire de la bière et organiser des concours de wet t-shirts. Et les étudiants plus intellectuels se donnent rendez-vous à Seattle ou à Québec pour brandir des pancartes en écoutant le dernier album de Phish qu’ils ont téléchargé sur leur lecteur MP3 de Sony, à l’aide de leur iMac usagé.

Pour avoir un véritable impact, le mouvement antimondialisation devrait tout d’abord partager une vision commune. Or, que veulent les militants? Pour quels enjeux se battent-ils? Le retour du socialisme, la mort du capitalisme, les communes, la social-démocratie, l’amour libre, l’éradication de la dette des pays pauvres, l’établissement de la taxe Tobin? Veulent-ils abolir complètement les accords commerciaux internationaux, ou tout simplement les encadrer?

Question quiz: une fois que les fameux textes de l’entente seront rendus publics, combien de militants les liront?

On dira que tout cela n’a pas d’importance, que c’est l’intention qui compte, le coup de coeur, l’élan instinctif, le sentiment de révolte. Je répondrai qu’il n’y a rien qui s’essouffle plus vite qu’un coup de coeur.

Un mouvement de contestation ne peut tenir exclusivement sur un élan de passion: ça lui prend une théorie, un but, un programme. On part d’ici, et on va là. On défend ceci, et on combat cela.

Quand le féminisme a-t-il commencé à faire des pas de géant? Lorsqu’il a défendu des points précis: le droit de vote, l’équité salariale, le libre choix en matière d’avortement, les pensions alimentaires…

Actuellement, les manifestants antimondialisation cognent sur tous les clous qui dépassent. C’est bon pour le moral, ça leur permet de se défouler. Mais ce n’est pas comme ça qu’ils vont construire un mouvement solide, capable de faire changer les choses.