Ondes de choc

Mille milliards de dollars

La semaine dernière, je déplorais le manque de cohérence au sein du mouvement antimondialisation. "Un mouvement de contestation ne peut tenir exclusivement sur un élan de passion, écrivais-je. Ça lui prend une théorie, un but, un programme. On part d’ici, et on va là. On défend ceci, et on combat cela."

Ces propos m’ont valu un abondant courrier – en général, assez négatif.

Comme m’a lancé un lecteur: "C’est bien beau, Martineau, mais tu fais quoi, toi? Tu tombes exactement dans le piège que tu dénonces: tu critiques le mouvement, mais tu ne proposes aucune solution, aucune piste. Ta chronique est un gros élan de passion. On sait ce que tu combats, mais pas ce que tu défends."

O.K., le smatte, 1-0 pour toi.

Effectivement, jouer au gérant d’estrade est plutôt facile. On est confortablement assis sur son banc, en haut dans les gradins, et on gueule contre le capitaine de l’équipe parce qu’il n’a pas réussi à faire son tour du chapeau. Alors cette semaine, je relève le défi qu’on m’a lancé: je lève mon gros cul, j’enfile mes patins à quatre lames et je descends sur la glace.

À mon humble avis, s’il y a un point, un seul, qui mérite d’être défendu par tous les militants regroupés à Québec cette semaine, c’est la taxe Tobin. Tous les participants au Sommet des peuples, qu’ils soient anarchistes, sociaux-démocrates ou amis de la luzerne, devraient unir leurs voix pour demander au gouvernement canadien de soutenir activement (et pas seulement du bout des lèvres, comme il le fait présentement) cette idée.

Pour ceux qui l’ignorent, l’idée de la taxe Tobin a été élaborée dans les années 70 par l’économiste et Prix Nobel américain James Tobin. Le principe est simple: il s’agit de prélever une taxe de 0,1 % sur toutes les transactions en devises. Cette taxe aurait pour effet de ralentir considérablement la spéculation sur la monnaie, qui cause tant de ravages aux quatre coins du monde.

Et elle permettrait de dégager, au niveau mondial, un revenu tournant autour de 230 milliards de dollars – revenu qui pourrait être alloué contre la lutte à la pauvreté, compensant ainsi en partie les sommes astronomiques échappant au bien commun grâce à l’évasion fiscale organisée par l’industrie financière.

On taxe bien le tabac, pourquoi ne taxerait-on pas Wall Street?

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On parle beaucoup des anarchistes ces temps-ci. Or, actuellement, la véritable anarchie, c’est dans le système financier mondial qu’elle se manifeste. Les marchés mondiaux des capitaux n’obéissent à aucune législation. Comme l’écrivent les journalistes allemands Hans-Peter Martin et Harald Schumann dans Le Piège de la mondialisation (un ouvrage économique percutant publié chez Actes Sud), "la dynamique interne et chaotique du monde des finances échappe même à ses acteurs. Dans leur cyberespace composé de millions d’ordinateurs en réseau s’accumulent aujourd’hui des risques comparables à ceux de la technologie nucléaire".

Comme les scientifiques, qui jonglent avec les bases mêmes de la vie en tripotant les atomes et les gènes, les gens qui spéculent sur la monnaie jouent avec la structure de base de notre système économique. Un jour, ça risque de nous exploser en plein visage.

Même George Soros, l’un des principaux gourous de la finance qui est devenu multimilliardaire en spéculant sur la monnaie, affirme que le système financier est au bord de l’infarctus.

Qu’attendons-nous pour le réglementer?

Selon la Banque des règlements internationaux, le volume quotidien des transactions liées à la spéculation sur la monnaie équivalait, en 1998, à 1587 milliards de dollars. Mille milliards et demi de dollars par jour! Qui nous passent, comme ça, en dessous du nez, sans que les États ne puissent dire un traître mot.

Le temps n’est-il pas venu de mettre un peu d’ordre là-dedans et de fixer quelques règles du jeu?

ATTAC-Québec (www.attac.org/quebec) est l’une des nombreuses organisations qui font pression auprès des gouvernements afin qu’ils adoptent l’idée de la taxe Tobin. Le 21 avril, les membres d’ATTAC-Québec participeront à la manif dans la Vieille Capitale.

Ils ne se contenteront pas de dire qu’ils sont CONTRE la façon dont on est en train de négocier la ZLEA. Ils proposeront l’adoption d’une solution concrète.

Voilà, il me semble, une revendication qui mérite d’être entendue. Et qui, je l’espère, ne sera pas noyée dans le tohu-bohu général.

Comme l’écrivait François Gosselin, membre d’ATTAC-Québec, au lendemain de la manif contre le G-20 qui s’est déroulée en face de l’hôtel Sheraton, en octobre 2000:

"C’est avec regret que j’ai constaté que quelques voyous avaient fait dérailler la manifestation. Ce genre de dénouement fait courir les médias… et la police. La justification parfaite pour foncer dans le tas et faire passer les manifestants pour des réactionnaires violents qui n’ont rien à dire. Et pourtant nous en avons des choses à dire. Des propositions constructives."

Quant à nous, nous reviendrons sur le sujet de la taxe Tobin dans quelques semaines, lorsque les effluves de poivre de Cayenne seront évaporés…