ISO 9001
Ondes de choc

ISO 9001

Chaque matin en allant au bureau, et chaque soir en revenant chez moi, je passe devant un petit bar miteux, rue Olier, dans le bas de la ville.

Un petit bar sans nom, en béton gris, qui ressemble à une remise.

Sur la devanture du bar, on peut lire deux choses: "Guichet ATM" et "Loteries vidéo". C’est tout ce qu’on y trouve: une machine pour vider les comptes de banque, une machine pour miser de l’argent, et entre les deux, un garçon qui sert de la bière aux clients pour les aider à avaler leurs pertes. That’s it, that’s all.

Ce bar n’est pas un lieu de socialisation ou un endroit où l’on va se détendre après une longue journée de travail: c’est un tripot. Un tripot laid à chier, situé in the middle of fucking nowhere. La seule et unique raison d’être de ce bar: remplir au maximum la machine à sous.

Tu retires de l’argent, tu mises, tu bois, tu pisses. Tu retires de l’argent, tu mises, tu bois, tu pisses. Et à trois heures du matin, le proprio te jette dehors et vide la machine pour qu’elle soit prête à accueillir tes économies le lendemain.

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Sur le site Internet de Loto-Québec (www.loterie-video.qc.ca), on nous montre deux couples qui jouent à une machine de vidéopoker. Ils sont jeunes, ils sont beaux, et ils rigolent comme des fous. On dirait une pub de bière importée. Mais dans la vraie vie, le portrait est pas mal plus déprimant.

On ne verrait pas quatre beaux yuppies tout de noir vêtus en train de ricaner gaiement; mais plutôt un gars tout seul pitonnant mécaniquement sur une machine.

À en croire Loto-Québec, jouer aux machines à sous ressemble à un party. Mais en fait, c’est aussi festif et aussi "up-la-vie" qu’un gars qui se masturbe dans un isoloir. Il n’y a aucun glamour là-dedans, aucune joie, aucun plaisir. C’est le degré zéro de l’hédonisme. J’ai envie de venir, je viens.

Et puis tiens, Lola, v’là ton 10, et à la semaine prochaine.

Que l’État ait décidé de mettre la main sur ces machines à sous est compréhensible. Après tout, mieux vaut que les millions de dollars recueillis par les vidéopokers tombent dans le coffre du Trésor plutôt que dans celui de Vito Rizutto. Mais que l’on puisse s’en faire une fierté est proprement immoral.

Or, c’est ce qui arrive. L’État est fier de ses vidéopokers. Il est fier de boucler ses fins de mois en vidant les poches du pauvre monde dans le fin fond d’un bar minable.

Premièrement, l’État est fier parce que ce sont des gens d’ici qui vident nos poches. "La Société des loteries vidéo du Québec a fait l’acquisition de 15 675 appareils de loterie vidéo fabriqués et assemblés au Québec."

Deuxièmement, l’État est fier parce que Loto-Québec a développé une véritable expertise dans l’art de vider nos poches. "La société des loteries vidéo du Québec est certifiée ISO 9001."

Troisièmement, l’État est fier parce que ses machines vident nos poches de façon créative. "Les différents modèles d’appareils proposent de nombreux jeux de lignes, de poker, de black-jack et de keno. Certains jeux donnent la possibilité de jouer en mode prime, de jouer quitte ou double et de gagner une cagnotte."

Et quatrièmement, l’État est fier parce qu’en contribuant ainsi à vider nos poches, il garde en vie une tradition ancestrale. "Les jeux de hasard sont l’un des plus vieux divertissements au monde."

Qui a dit que Loto-Québec était une entreprise honteuse?

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On critique beaucoup les vidéopokers. Mais qui sommes-nous pour juger?

Aujourd’hui, tout le monde joue. Le jeu n’est plus un divertissement, mais un mode de vie. Les gens aisés jouent à la Bourse; les institutions bancaires jouent avec nos économies; l’État joue avec l’argent de l’Assurance-emploi; les grosses compagnies jouent avec nos fonds de pension… La planète est devenue un énorme casino. Tout le monde est branché, et tout le monde gage. Pile, je m’enrichis; face, je me retrouve dans la rue et j’entraîne les autres avec moi.

La différence entre le pauvre gars qui claque son fric dans un vidéopoker et le yuppie qui transige des actions sur son cellulaire est ténue. Le premier se fait faire une pipe dans son char. Le second se fait venir un top-modèle au Ritz.

Deux univers, même vice.