Ondes de choc

R. I. P.

Pour un peu, et il serait mort le jour de la Fête du Canada. Contrairement à ce que pourraient penser ses ennemis du Québec, je suis sûr que pour lui, cela aurait été un drame. Se faire avaler par un groupe, devenir le porte-étendard posthume d’un pays, que ce soit le Canada ou l’Angleterre, où il résidait six mois par année, très peu pour lui.

Mordecai Richler détestait les clans. Tous les clans: les juifs, les protestants, la bourgeoisie canadienne-anglaise et, bien sûr, les nationalistes francophones. Pour lui, tout groupe était suspect; toute association était douteuse. Pour paraphraser Woody Allen (qui citait Groucho Marx), il n’aurait jamais fait partie d’un groupe qui l’aurait accepté comme membre.

***

Dans This Year in Jerusalem, un essai qu’il a publié en 1994, Mordecai Richler jette un regard extrêmement critique sur l’État d’Israël. Et il ne s’est jamais gêné pour ridiculiser le fanatisme des juifs ultra-orthodoxes dans ses chroniques ("Chaque religion a ses zélés", a-t-il écrit dans le National Post en août 2000).

Mais au Québec, c’est surtout ses écrits pamphlétaires sur le nationalisme qui passeront à l’Histoire. Il restera encore longtemps "l’homme qui détestait les Québécois".

Il faut dire que, pour ce qui est de la politique québécoise, Mordecai Richler était un bien mauvais juge.

Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de croiser le fer avec lui à l’émission Pamela Wallin Live, enregistrée dans un studio de CBC Newsworld, à Toronto. Le sujet était bien sûr la politique québécoise (avec, en filigrane, le thème du nationalisme – on était dans la Ville reine, après tout).

"Les nationalistes francophones sont refermés sur eux-mêmes, a-t-il lancé. Ils sont imperméables aux autres cultures et sont nostalgiques du bon vieux temps où le Québec était entièrement blanc et francophone."

"Comment pouvez-vous dire une telle chose, ai-je répliqué. Ça fait 70 ans que vous vivez au Québec, et vous ne savez pas parler un traître mot de français! Qui est refermé sur sa propre culture? Qui est tricoté serré? Qui est imperméable aux gens qui l’entourent? Quant à la nostalgie, monsieur, l’image vous sied parfaitement: vous vivez dans le passé, vous êtes nostalgique d’une époque où le pouvoir financier résidait dans les mains de l’élite anglophone juive. Vous n’avez jamais quitté les années 40, et êtes complètement déconnecté du Québec moderne."

Il m’a regardé d’un air bourru, et n’a rien répondu.

C’était le principal talon d’Achille de Richler. Si l’homme avait été parfaitement bilingue, et s’il avait connu la culture francophone québécoise, ses critiques du nationalisme auraient mérité qu’on s’y attarde et qu’on en discute. Mais voilà, Richler était complètement débranché. Il incarnait tout ce qu’il critiquait! Comment pouvait-on prendre ses attaques au sérieux alors qu’il ne pouvait même pas lire Le Devoir ou La Presse?

C’est comme ces nationaleux francophones qui crachent sur la culture canadienne-anglaise alors qu’ils n’ont jamais lu Margaret Atwood ou vu un film d’Atom Egoyan! Who are they to talk?

Je lui ai fait la remarque, un jour, sur le plateau de l’émission Christiane Charette en direct. "Comment pouvez-vous dire que les Québécois sont fermés aux autres cultures alors que vous ne parlez même pas français?

– Et vous, parlez-vous yiddish? m’a-t-il répondu.

– Non, je ne parle ni yiddish ni serbo-croate. Désolé, mais on ne peut pas mettre le yiddish sur le même pied d’égalité que le français au Québec! Le français est la langue de la majorité… Ça n’a rien à voir. Vous comparez des pommes et des oranges, sir."

Je lui aussi demandé pourquoi il y avait si peu de francophones dans ses romans, alors qu’ils se déroulent à Montréal. "A-t-on déjà reproché à Michel Tremblay de ne pas mettre de personnages juifs dans ses pièces? m’a-t-il lancé. Alors, pourquoi me posez-vous la question?"

J’aurais pu lui répondre qu’il y a très peu de rabbins dans les bars de travelos de la Main ou coin Fabre et Saint-Joseph, mais j’ai décidé de ne pas gaspiller mes énergies.

"Mon père est un vieux monsieur, qui est prisonnier d’un temps et d’une époque", m’a déjà dit son fils Daniel (un boulimique de culture qui connaît beaucoup le Québec).

Malheureusement, ce sont justement les écrits de ce vieux monsieur nostalgique qui font autorité à l’extérieur du Québec.

Des textes sur l’importance de s’ouvrir au monde, écrits par un homme qui ne pouvait même pas comprendre la langue de ses voisins.