Ondes de choc

À qui appartient le beau temps?

Les États-Unis ont donc refusé de signer l’entente de Kyoto relative à l’émission des gaz à effet de serre.

Entre vous et moi, je les comprends. Après tout, s’il est un mythe ayant la vie dure, c’est bien celui du réchauffement de la planète.

J’en parlais justement avec ma blonde hier soir. On venait tout juste de coucher nos deux filles dans le congélateur du sous-sol, entre un pot de Ben and Jerry’s et une bouteille d’Absolut, quand je lui ai dit: "Tu ne trouves pas que les écolos exagèrent?"

"Mets-en", m’a-t-elle répondu tout en cassant de la glace avec un marteau-piqueur.

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Vous souvenez-vous de l’époque où il y avait un printemps et un automne? C’étaient de belles saisons, tempérées, agréables, qui nous permettaient de déambuler à notre aise dans la rue.

Aujourd’hui, ces saisons n’existent plus. Un jour, il fait -15. Et le lendemain, on souhaite le retour de Spencer Tunick afin de pouvoir se promener à poil rue Sainte-Catherine.

Quant aux enfants, il faut leur appliquer de la crème solaire 165 à la spatule avant de les sortir. Il n’est même pas 9 h que le soleil fait déjà bouillir l’asphalte. On se croirait dans Soylent Green, le film de science-fiction avec Charlton Heston. Même Lou Reed porterait des shorts.

Mais le réchauffement de la planète? Noooooooooooooooon, ça n’existe pas. Un mythe, un complot des communistes pour affaiblir l’économie américaine.

Il n’y a pas que George Bush qui critique l’accord de Kyoto. Il y a aussi Ralph Klein, l’ineffable premier ministre de l’Alberta. Selon lui, cette entente pourrait coûter des milliards et des milliards de dollars à sa province. "Cela va nous obliger à réduire considérablement notre production de pétrole, au moment même où toutes les instances du gouvernement fédéral vantent l’énorme potentiel des ressources naturelles de l’Alberta", a-t-il déclaré.

Qu’importe si la calotte glaciaire fond encore plus vite que les profits de Nortel et si, dans quelques années, des territoires complets risquent de prendre le chemin de l’Atlantide: il faut continuer de pomper. Pompons, les amis, pompons!

J’ai de la difficulté à croire qu’à l’ère des voyages sur Mars, des ovules fécondés sans spermatozoïdes et des légumes mutants, on soit encore aussi dépendant du pétrole. Il me semble que si tous les cerveaux s’attaquaient à ce maudit problème, on pourrait développer une auto électrique capable de rivaliser avec les meilleurs bolides de course, non?

D’ailleurs, elles existent, ces sources énergétiques alternatives, mais nos gouvernements s’en foutent. Pas assez rentables, trop expérimentales. Pourquoi investir des milliards de dollars dans des solutions à long terme alors que les puits de pétrole de l’Alberta nous donnent tout ce dont nous avons besoin?

Pourquoi préparer l’avenir quand on peut se contenter de gérer le présent?

Et puis, il y a l’aspect freudien. Le pétrole, c’est comme le boeuf de l’Ouest: c’est gros, c’est gras, ça suinte. C’est pas comme les éoliennes qui battent des ailes dans un champ de luzerne. Il y a quelque chose de macho dans l’univers du pétrole. Les tuyaux, les foreuses, les pompes à essence, les mécaniciens qui chiquent de la gomme en faisant des changements d’huile. C’est la grosse mécanique, le Texas, l’Alberta, John Wayne recouvert d’or noir, les plaines sauvages, l’homme domptant la nature, la Terre qui se déchire et qui pisse le sang…

Ça sent Hemingway à plein nez. Alors que l’énergie éolienne, c’est fif. Tu déroules ton fil, tu branches ton char… Où est l’aventure?

La bataille de l’énergie, c’est ça: pas seulement une question économique, mais un combat entre deux façons de penser, deux territoires idéologiques. D’un côté, les cow-boys des Plaines (le Texas, l’Alberta), qui mangent leur steak saignant; de l’autre, les intellos de la Côte-Ouest (la Californie, la Colombie-Britannique), qui boivent du caffé latte et pitonnent sur leur ordinateur. Les dinosaures de la révolution industrielle versus les prophètes de l’âge digital.

Or, en ce moment, ce sont les cow-boys qui tiennent le gros bout du bâton. D’où le refus des États-Unis de signer l’accord de Kyoto, qui a pourtant fait l’affaire de 178 pays.

Je suis sûr que dans quelques années, alors qu’Elizabeth Taylor en sera à son 125e lifting, les installations pétrolières de l’Ouest nous paraîtront aussi grotesques que les usines du XIXe siècle ou les centrales nucléaires russes. Elles seront transformées en musées, et on pourra les visiter dans de superbes autos électriques.

En profitant pleinement du printemps.