Ondes de choc

Le labyrinthe

Femmes accouchant à 70 ans. Foetus créés dans des labos. Mères portant les enfants de leur fille. Pères choisissant le sexe de leur prochain bébé. Clones élevés dans des tubes. Organes de rechange produits en série et gardés à la bonne température dans un frigo géant. "Si vous avez besoin d’un nouveau foie, insérez dans le micro-ondes et décongelez…"

Décidément, la vie n’est plus ce qu’elle était. Le vivant est maintenant devenu un produit comme les autres, répondant aux lois de l’offre et de la demande. Et offert chez Loblaw’s en 24 couleurs différentes.

L’autre jour, on annonçait à la télé qu’il était désormais possible de fertiliser un ovule à partir de n’importe quelle cellule humaine. En un mot: plus besoin de spermatozoïdes pour faire un bébé. Une femme pourrait maintenant utiliser une cellule provenant de son oreille droite ou de sa fesse gauche pour s’engrosser. "C’est un progrès immense pour les femmes", de commenter une féministe australienne.

Ah oui? Pourquoi? Parce qu’elles pourront enfin se passer d’hommes pour faire des petits? Ne disait-on pas justement que les hommes ne s’impliquaient pas suffisamment dans l’éducation des enfants?

J’imagine la même réaction, mais à l’envers. "Enfin, les hommes pourront reproduire sans avoir à copuler avec une femme." Des millions de femmes descendraient dans les rues pour manifester. On crierait à l’eugénisme, à la misogynie… Mais que des femmes puissent se reproduire sans sperme, pas de problème.

Après tout, l’homme n’est bon qu’à sortir les vidanges, non?

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Ces tripotages avec les bases mêmes de la vie inquiètent beaucoup de gens. Selon eux, l’homme devrait cesser de jouer avec la nature.

C’est oublier que si l’homme avait effectivement laissé la nature en paix, notre espérance de vie ne dépasserait pas 35 ans, les femmes stériles ne pourraient jamais avoir d’enfants et des millions de gens mourraient encore de la peste bubonique ou de la tuberculose.

Les récentes découvertes sur l’ADN nous ont ouvert les portes d’un univers insoupçonné. Nous pénétrons dans ce territoire vierge, à nos risques et périls, sans carte ni boussole. Le compas moral qui, jusqu’ici, nous permettait de retrouver notre chemin et d’éviter les glissements éthiques est désormais obsolète. Ce nouveau monde semble tout droit sorti d’un roman de Lewis Carroll. Rien n’est ce qu’il semble; le bien et le mal changent sans cesse d’apparences; et les perspectives s’embrouillent. Où est le nord, où est le sud? Bien malin celui qui saura le dire.

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Prenons le cas des fameuses cellules souches.

Selon de nombreux chercheurs, l’utilisation de ces cellules prélevées sur des embryons pourrait un jour nous aider à guérir les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, pour ne pas dire certaines formes de cancer. Faudrait-il laisser tomber ces recherches sous prétexte que seul Dieu a le droit de tripoter le vivant?

D’un autre côté, où trace-t-on la ligne de démarcation? Pourquoi ne pas prélever des cellules vivantes sur des foetus destinés à l’avortement, ou sur des adultes cliniquement morts, tant qu’à faire?

Le terrain, comme on le voit, est glissant, très glissant. Au cours des prochaines années, il sera de plus en plus difficile de trancher. Une chose est sûre: nous avancerons à tâtons, et les anciens repères idéologiques ou moraux ne nous seront plus d’aucun secours. On n’a qu’à voir les contorsions qu’a dû effectuer George Bush afin de plaire à la fois aux militants anti-avortement qui l’ont porté au pouvoir, et au lobbying des chercheurs américains qui ne voulaient pas se faire damer le pion par les Japonais ou les Européens. Il n’y a plus de gauche ou de droite, dans le choix de Bush. Sa décision de donner le feu vert aux recherches sur les cellules souches ne s’appuie sur aucun système rigide. C’est un compromis prudent, une proposition interrogatoire, une question déguisée en réponse.

"Je ne sais vraiment pas quel chemin emprunter pour atteindre la Terre promise, a-t-il dit en substance. Alors je vais faire un pas dans cette direction, et on verra… Si jamais nous tombons sur un mur, nous reviendrons sur nos pas et nous défricherons une autre route."

Il y a 40 ans, le mur de la honte s’érigeait à Berlin. Aujourd’hui, toutes les frontières s’écroulent, même celles qui séparent le bien du mal.

Bienvenue dans le futur. Mode d’emploi non compris.