Je vais vous avouer une chose: je ne suis pas un très grand fan d’Apocalypse Now.
Certaines scènes me font baver de plaisir, certes (comment rester de glace devant une jungle qui s’embrase au son des Doors?); mais j’ai toujours trouvé le film de Coppola prétentieux, complaisant et philosophiquement confus. Il n’y a pas de personnages dans Apocalypse Now, mais des idées de personnages. Que sait-on de Willard? Rien. Idem pour Kurtz. Ils n’ont aucune vie propre: ce sont des silhouettes en carton, destinés à ajouter un peu de vie à des décors en flammes.
Quant au scénario, il est inexistant: une suite mal "raboutée" de scènes "opératiques", culminant dans un monologue interminable et inintelligible. Le finale d’Apocalypse Now est sans aucun doute le plus gros coït interrompu de l’histoire du cinéma: trois heures d’explosions et de feux d’artifice pour en arriver là: un soliloque crypto-philosophique sur le Bien et le Mal, déblatéré dans la pénombre.
"L’homme porte le mal en lui et peut, à tout moment, sombrer dans l’abîme." Wow. Je ne l’avais jamais entendue, celle-là. Si Apocalypse Now est une réflexion brillante sur l’horreur de la guerre, alors Pink Floyd: The Wall ("Je suis devenu un dictateur parce que ma mère était une méchante castatrice.") est une thèse de doctorat sur la montée du fascisme.
Je suis retourné voir la version longue (très longue) d’Apocalypse Now, et j’ai eu la même impression: celle de lire un roman initiatique écrit par un émule de Hermann Hesse qui venait de manger des champignons magiques. La Tétralogie de Wagner, mis en scène par Oliver Stone. Avec, en prime, des scènes inédites que l’on réserve habituellement aux DVD éditions spéciales.
Pourtant, malgré mes très grandes réserves envers cette oeuvre boursouflée et, à mon humble avis, extraordinairement surestimée, je suis sorti de la projection d’Apocalypse Now Redux profondément ému.
Car, on a beau faire la moue devant le long métrage de Coppola, il n’en reste pas moins que ce film essayait quelque chose. Alors qu’aujourd’hui, le cinéma ne sert plus qu’à vendre du maïs soufflé.
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Comme l’a dit Coppola, la production d’un film comme Apocalypse Now serait impossible aujourd’hui. Pourquoi? Parce que maintenant, les gros studios sont dirigés par des gestionnaires pour qui Moretti est d’abord et avant tout une marque de bière. Vous leur demandez ce qu’ils pensent de Captain Correlli’s Mandolin, et ils vous diront que c’est un excellent film car il rejoint un public composé à 61 % de femmes et à 79 % de gens dépassant les 30 ans (chiffres sortis d’un communiqué de Universal).
Avant, les studios de cinéma étaient des entreprises importantes qui se suffisaient à elles-mêmes. Maintenant, ils appartiennent à des multinationales qui produisent des cigarettes, des céréales et des détergents industriels. Les profits générés par les sections Cinéma de ces conglomérats ne représentent qu’une infime part de leurs chiffres d’affaires annuels. Ces mégacompagnies ne font pas leur argent avec les films, mais avec les fils – le câble, les fibres optiques, les satellites. C’est ça qui remplit leur portefeuille. Le reste, c’est du contenu.
La dernière comédie d’Adam Sandler, Clockwork Orange, le plus récent vidéo érotique de Playboy Channel, le prochain Scorsese: tout ça s’équivaut. C’est du contenu. Du contenu destiné à être vendu en DVD, en VHS, sur les canaux de télé payante, dans les chambres d’hôtel.
Les réalisateurs et les scénaristes ne sont plus des artistes, mais des fournisseurs de contenu. Tout ce qu’on leur demande, c’est de respecter le budget. Un long métrage n’a même plus besoin d’être vu pour faire de l’argent! La première scène n’a même pas été tournée que, déjà, le film a été vendu à une chaîne télé allemande qui avait besoin d’images pour combler les trous de sa grille-horaire.
Regardez la programmation de vos canaux de télé payante: vous y trouverez des dizaines de nanars obscurs mettant en vedette le même groupe de has-been (Eric Roberts, Steve Guttenberg, William Hurt, Tom Berenger). Ces thrillers bâclés (souvent tournés à Montréal) sont diffusés à quatre heures du matin. Qui les regarde? Personne. De toute façon, ça n’a aucune importance. C’est du contenu destiné à faire tourner la machine.
On a installé des millions et des millions de kilomètres de fils partout autour du globe, il faut bien qu’ils servent à quelque chose, non? Alors on chie des images…
Apocalypse Now avait bien des défauts; mais au moins, il avait l’ambition de nous faire réfléchir. Malheureusement, en 2001, il ne reste presque plus rien de cette conception du cinéma. Le septième art a explosé avec le temple de Kurtz.
"The horror… The horror…"