Pendant longtemps, les États-Unis ont cru que la mondialisation était une rue à sens unique, qui servait à exporter la richesse aux quatre coins du monde. Ils viennent de se rendre compte que c’est une autoroute à deux voies, qui sert également à importer la souffrance.
Terminée, l’époque où les Américains vivaient dans une bulle de verre, à l’abri des flammes qui, depuis des décennies, embrasent le reste de la planète. Leurs fenêtres ont explosé, et le tonnerre a mis le feu à leur maison.
Tireront-ils les conséquences qui s’imposent? Reverront-ils leur politique étrangère?
Rien n’est moins sûr.
Le gouvernement américain est encore enfermé dans une logique de la guerre froide. Le président et ses conseillers ne semblent pas comprendre que le monde a changé, et qu’un bouclier antimissile de 60 milliards de dollars ne peut rien contre une vingtaine de fanatiques armés de couteaux et de lames de rasoir. Ils se croient encore dans les années 50.
Dans No Logo, son célèbre manifeste "anti-branding", la militante canadienne Naomi Klein brosse un portrait de la nouvelle gauche. Ce mouvement, dit-elle en substance, épouse la forme d’Internet. Il ne connaît aucune hiérarchie, n’est pas limité à un territoire donné, rassemble plusieurs groupuscules distincts, etc. "Comme Internet, écrit-elle, cette nouvelle gauche est mondiale, anarchique et chaotique."
Eh bien, on pourrait dire la même chose des mouvements terroristes. Le terrorisme, c’est la guerre à l’ère d’Internet. Plus de quartier général, de chef suprême, d’État, de chaîne de commande. Ce n’est pas une armée, c’est un virus. Un virus qui infiltre les esprits et les sociétés, et qui frappe ses ennemis de l’intérieur, en les contaminant.
Vous vous rappelez la fameuse scène d’Alien, où un astronaute "accouche" d’un monstre gluant, qui lui perce la poitrine? C’est la métaphore parfaite de notre époque. Comme la bête d’Alien, Oussama ben Laden a grandi au sein de notre société. Il a été armé par les Américains, qui l’ont utilisé pour lutter contre les Soviétiques pendant la guerre de Tchétchénie. Exactement comme Manuel Noriega, l’ex-dictateur du Panama, qui était sur le payroll de la CIA… jusqu’à ce que le gouvernement américain décide qu’il n’avait plus besoin de ses services. Alors, du jour au lendemain, l’ami des USA est devenu l’ennemi public numéro un.
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Au lieu de se comporter comme John Wayne, les États-Unis devraient plutôt se demander quelles sont les forces qui permettent d’engendrer des monstres comme ben Laden. Pourquoi une telle rancoeur? Pourquoi une telle haine? Comment une bête aussi féroce a-t-elle pu voir le jour?
Le 12 septembre dernier, le quotidien anglais The Guardian publiait un excellent éditorial sur le sujet. Le titre: The Best Defence is Justice (La meilleure défense est la justice).
"Les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone sont la preuve que le désordre du monde ne peut plus être circonscrit par des clôtures, de dire l’auteur, Martin Wollacott. La force militaire ne représente pas le meilleur moyen de détruire les groupes terroristes. La meilleure façon de se défendre contre le terrorisme est de travailler à construire un monde plus juste."
Certes, cesser d’armer Israël (et prendre en compte les demandes des Palestiniens) ne réglerait pas tous les problèmes au Moyen-Orient, comme l’écrivait André Pratte dans La Presse de mardi. Mais au moins, cela enlèverait une certaine légitimité aux groupuscules terroristes. Ils perdraient l’appui populaire, et se retrouveraient isolés.
Malheureusement, le gouvernement de George W. ne semble pas vouloir emprunter cette voie. On préfère avoir recours aux armes, même si cela risque de mettre le feu aux poudres, et d’encourager les terroristes à déclencher une véritable guerre sainte, à coups de bombes nucléaires et d’attaques bactériologiques.
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Dans les journaux de cette semaine, on dit que les valeurs des actions des grosses entreprises ont toutes chutés à la suite des attentats de la semaine dernière. Mais une industrie s’en est bien tirée: l’industrie militaire. "Les entreprises reliées à l’armement risquent de faire de bonnes affaires", a-t-on dit.
C’est malheureusement vrai. Cela dit, si j’avais de l’argent de trop, ce n’est pas là que je l’investirais. C’est dans l’industrie des pompes funèbres.
Car si la tendance se maintient, les amis, ça risque de péter. Et pas à peu près. Les terroristes ont la volonté. Ils ont la foi. Et ils sont à deux doigts d’avoir les armes capables de causer des milliers et des milliers de morts.
Bonne semaine.