Il y a quelques jours, j’ai jeté mes vieux journaux au recyclage. Comme tous les media freaks, j’empile toutes les publications que je reçois jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je décide enfin de faire le ménage.
En triant mes journaux, je suis tombé sur des quotidiens publiés avant le 11 septembre.
Quel choc… J’ai eu l’impression de retrouver de vieilles photos jaunies, datant d’une époque révolue.
Vous rappelez-vous? On consacrait alors la une aux soeurs Williams, à l’obésité chez les enfants, à la canicule, au sort incertain des Expos. La nouvelle la plus sombre était la chute des entreprises liées aux nouvelles technologies.
En quelques jours seulement, le monde a basculé. Tout, désormais, nous semble futile. Qui accorde la moindre importance aux fusions, aux élections municipales ou à la déconfiture du gouvernement péquiste? Personne. C’était pourtant les sujets qui alimentaient nos discussions il y a un mois.
J’ai l’impression qu’en cinq semaines, on a vieilli de 10 ans. On a perdu notre légèreté, notre insouciance.
On ne le savait pas, mais entre la chute du mur de Berlin et les attentats contre le World Trade Center, l’Amérique a vécu dans une sorte de gros abri Tempo historique, à l’abri du vent et des intempéries qui faisaient rage aux quatre coins de la planète. C’était, pour paraphraser David Bowie, nos Golden Years.
On sortait juste pour aller pisser sur le terrain de nos voisins, c’est tout.
Aujourd’hui, notre abri a pris le champ et toute la merde qu’on a déversée au cours des ans nous tombe soudainement dessus. Les tyrans que nous avons armés sèment la terreur, les peuples que nous avons abandonnés crient vengeance et l’argent sale que nous avons si habilement lavé sert à financer notre propre destruction.
Comme disent les Anglais: "It’s payback time."
Vous chantiez? Eh bien, dansez maintenant.
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Voir des Arabes se promener avec des affiches d’Oussama ben Laden nous glace le sang et nous remplit d’horreur. Comment des pères et des mères de famille peuvent-ils célébrer un tel monstre? C’est oublier qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’Occident au complet accueillit Harry Truman en héros, car il avait eu le "courage" de lancer deux bombes atomiques sur des milliers de civils japonais.
Vous me direz que le monde était alors en guerre, et que les États-Unis n’avaient pas le choix d’agir ainsi. Mais n’est-ce pas ce qui se passe avec ceux qui applaudissent aujourd’hui Ben Laden? Ils se considèrent eux aussi en guerre, et ils croient eux aussi que le massacre de milliers d’innocents constitue leur dernier recours.
Il ne s’agit pas de pardonner les actes terribles commis le 11 septembre. Juste de les mettre en contexte.
Quand on n’a rien, on est prêt à tout.
Certes, Ben Laden se fout de la Palestine comme de sa dernière chemise. S’il s’est soudainement intéressé au sort des compatriotes de Yasser Arafat, c’est parce qu’il sait que ça le rendra populaire, c’est tout. Comme disait Coluche: "Aucun pape n’a vraiment cru à Dieu. Vous en connaissez, vous, des prestidigitateurs qui croient en la magie?"
Mais voilà: arnaqueur ou non, l’homme est immensément populaire auprès d’une certaine couche de la population arabe. Et ce n’est pas en le faisant disparaître de la surface de la planète qu’on va contrer le phénomène. Au contraire: on risque plutôt d’en faire un martyr, et de le rendre encore plus mythique, plus influent.
Plus dangereux.
L’écrivain britannique John Le Carré signait tout récemment un texte d’opinion dans le Globe and Mail. Selon lui, pas de doute: la première grande guerre du XXIe siècle est actuellement en cours, et cette guerre, l’Occident l’a déjà perdue. Pourquoi? Parce que chaque fois que les États-Unis abattront un terroriste, deux autres verront soudainement le jour. Cette guerre est une no-win situation, de dire Le Carré. Un véritable catch 22.
Pile, tu gagnes. Face, je perds.
La seule façon de sortir de ce cul-de-sac est d’essayer de résoudre le problème à sa source. D’où vient le terrorisme? À quels besoins répond-il?
Bref, la situation est urgente et complexe. Elle exige patience, habileté et intelligence. Reste à savoir si George W. et son équipe possèdent ces vertus.