Ondes de choc

Les cancres

J’ai toujours pensé que les enseignants devraient être mieux rémunérés pour leur travail. Après tout, ce sont eux qui forment les citoyens de demain, c’est sur leurs épaules que repose une bonne partie de notre avenir. Qu’attendons-nous pour les traiter à leur juste valeur?

Chaque fois que j’entends quelqu’un dire du mal des profs, je m’élève et prends leur défense. J’affirme qu’on devrait alléger leurs tâches, réduire le nombre d’élèves par classe, les épauler, les appuyer. Il n’y a pas de métier plus important ni plus respectable, que je répète.

Malheureusement, défendre les profs, à notre époque, c’est comme défendre les huissiers ou les avocats. On se sent souvent seul.

En effet, les enseignants n’ont pas bonne réputation. Promenez-vous dans la rue et demandez aux gens ce qu’ils pensent des profs, vous verrez: la majorité diront qu’ils se plaignent la bouche pleine, qu’ils ont deux mois de vacances par année, qu’ils ne sont jamais contents, que la plupart d’entre eux sont incompétents, paresseux, ignorants…

C’est faux, bien sûr. Mais c’est la perception de nombreuses personnes.

Les profs auraient tout intérêt à soigner leur image et à se payer une grosse campagne de relations publiques, histoire de combattre ces terribles préjugés.

Or, que font-ils, à la place? Ils annoncent qu’ils vont ruer dans les brancards afin de forcer le gouvernement à bouger sur la question de l’équité salariale dans le milieu de l’éducation. Parmi les moyens de pression envisagés par les 75 000 membres de la Fédération des syndicats de l’enseignement: ne pas donner de devoirs ou de leçons aux élèves, reporter la remise du bulletin, annuler une rencontre avec les parents… Bref, faire payer le citoyen.

Attaboy, les profs! Comme suicide politique, on n’a rarement vu mieux. C’est le plus grand coup d’éclat depuis que Dollard des Ormeaux s’est fait péter la fiole en tentant de lancer un baril de poudre en territoire ennemi.

Le plus triste là-dedans, c’est que la cause des profs est noble. Qui peut être contre la vertu? Qui est contre l’équité salariale? Mais voilà, les moyens de pression envisagés risquent de leur faire plus de tort que de bien. Pensez-vous vraiment que la population va blâmer le gouvernement pour cette impasse? Bien sûr que non. Elle va se retourner contre les profs. Au lieu de contribuer à combattre les préjugés grossiers qui circulent sur les enseignants, cette stratégie ridicule et rétrograde va jeter de l’huile sur le feu et donner des munitions à tous les démagogues de la Terre, qui n’attendent qu’un événement comme celui-là pour tirer à bout portant contre les membres de cette honorable profession.

Pourtant, il y a tellement de meilleurs moyens pour faire passer le message…

Au lieu de faire suer la population en retardant la remise des bulletins et en annulant une rencontre avec les parents, pourquoi les profs n’embêteraient-ils pas directement leur employeur, c’est-à-dire le gouvernement? Ils pourraient continuer de donner des devoirs et de corriger les copies, mais décider de ne pas envoyer les notes au ministère de l’Éducation, par exemple. Ainsi, ce ne seraient pas les citoyens qui seraient pénalisés, mais la Machine, la bureaucratie…

Un peu d’imagination, que diable! Remuez vos méninges, mesdames et messieurs les enseignants, et adoptez une stratégie positive, constructive, inédite! Cessez de toujours prendre la population en otage en boycottant les activités parascolaires ou les sorties culturelles, comme vous l’avez déjà fait (un autre de vos coups de génie), et mettez les parents de votre côté! Faites-vous-en des alliés, pas des ennemis!

Personnellement, je continuerai de défendre le travail des profs lorsque quelqu’un les attaquera en ma présence. Je persisterai à dire que leur métier est ingrat, mal aimé, sous-payé. Mais voilà: j’aimerais juste qu’ils m’aident à les aider, de temps en temps.

En faisant moins de gaffes.

En cessant de se mettre les contribuables à dos.

Et en envisageant sérieusement la mise sur pied d’une véritable corporation professionnelle, qui protégera à la fois les parents et les professeurs.

Car, comme l’a déjà écrit le pédagogue Elliot Wayne Eisner: "Nous avons par mégarde conçu un système dans lequel l’enseignant compétent n’est pas officiellement récompensé et l’enseignant inapte, rarement réprimandé ou pénalisé."

Il est grand temps que cette situation change.