Ondes de choc

Mémento

À: Monsieur le producteur

De: Monsieur le scénariste

Sujet: Projet d’un scénario de long métrage

Mon premier long métrage racontera la carrière fictive d’un politicien qui se présente à la mairie de Mégapolis, une grande ville née de la récente fusion de plusieurs petites municipalités. Cliché, dites-vous? Attendez, il y a un twist: mon politicien souffre d’une maladie extrêmement rare: l’amnésie antérograde. Il se souvient de ce qui lui est arrivé lorsqu’il était enfant, mais il n’a aucun souvenir de ce qu’il a dit ni de ce qu’il a fait 10 minutes plus tôt!

Cette maladie, on s’en doute, le plongera dans toutes sortes de situations incongrues.

Afin de nous faire vivre ce malaise de l’intérieur, et de nous faire partager le chaos mental du héros, l’histoire sera racontée à l’envers. On commencera par la fin, et l’on finira par le début.

SCÈNE 1

Après une campagne éclair, notre héros est élu maire de Mégapolis. Lors de sa première allocution télévisée, il affirme qu’il est un ardent défenseur des fusions municipales et qu’il fera tout en son pouvoir pour "vendre" ce concept extraordinaire à ses concitoyens. "À partir d’aujourd’hui, c’est une ville, une île", crie-t-il, tout joyeux, dans le micro.

SCÈNE 2

Profitant de la tenue d’un souper-spaghetti devant l’hôtel de ville de Mégapolis, notre héros présente le troisième thème de sa campagne: "Une ville pour tous".

SCÈNE 3

La campagne électorale bat son plein. Interviewé par un journaliste qui lui demande s’il compte toujours annuler les fusions municipales une fois élu maire, notre héros répond:

– Je ne me mettrai pas dans le chemin des gens qui veulent contester la légitimité des fusions devant les tribunaux.

– Allez-vous les aider activement? demande le journaliste.

– Je ne vais pas leur nuire, se contente de dire notre politicien.

SCÈNE 4

Lors d’une allocution prononcée au Centre des congrès de Mégapolis, notre candidat présente le nouveau thème de sa campagne: "Les fusions: pensons-y 16 secondes avant de dire Oui."

SCÈNE 5

Notre héros organise sa première campagne de levée de fonds, sous le thème: "Les fusions? JAMAIS!" L’aréna de Banlieuville où se déroule l’événement est plein à craquer.

SCÈNE 6

Après quelques jours de réflexion, notre héros annonce qu’il est revenu sur sa décision, et qu’il se présentera finalement comme maire de Mégapolis, afin de défendre les intérêts des antifusionnistes. "Ces gens-là pourront toujours compter sur moi, dit-il. Je me battrai corps et âme pour leur cause."

SCÈNE 7

Un journaliste de RDI demande à notre héros s’il songe à se présenter comme maire de Mégapolis aux prochaines élections municipales. "Êtes-vous fou? lui répond-il. Pourquoi voudrais-je diriger les destinées d’une municipalité que je ne reconnais pas?"

SCÈNE 8

Afin de se rapprocher de la majorité de ses partisans, notre militant loue un local situé sur la rue Principale, à Banlieuville.

SCÈNE 9

Récemment nommé chef du Mouvement de défense des petites municipalités, notre héros refuse d’installer ses bureaux à Banlieuville, là où le groupe a été fondé, alléguant qu’il est né à Miniville, qu’il s’est marié à Miniville et qu’il va mourir à Miniville. "C’est une question de principe, lance-t-il. Je suis fier de ma ville, et je ne la quitterai jamais."

SCÈNE 10

La ministre des Affaires municipales affirme que les fusions municipales seront entérinées le 1er janvier prochain. Révolté par cette annonce qui sonne la disparition de son village, notre personnage principal, un entrepreneur fortuné qui possède une importante chaîne de parfumeries, publie une longue lettre ouverte dans les journaux – ce qui lui vaudra d’être approché par le Mouvement de défense des petites municipalités.

SCÈNE 11

Notre héros a 27 ans, et gère une petite boutique d’eau de toilette située dans le sous-sol de la maison de ses beaux-parents, à Miniville, un bourg qu’il adore. Un jour, son beau-père lui offre d’investir 1000 $ dans son entreprise. "Merci, papi, proteste-t-il, mais ma situation présente me sied parfaitement. J’aspire à une vie modeste, humble. Je ne veux pas être président d’une grande compagnie. Small is beautiful."

Si le film marche bien, on prévoit une suite qui racontera comment notre héros est devenu premier ministre de la province.