Alors, comment avez-vous trouvé le Salon du livre, cette année?
J’ai une bonne idée pour les organisateurs: l’an prochain, faites commanditer l’événement par un fabricant de condoms. Et demandez à Lili Gulliver d’être la porte-parole. Comme ça, vous serez parfaitement synchrone avec l’air du temps.
Car pour faire un tabac dans le merveilleux monde de la francophonie, faut du cul. Et pas n’importe quel cul: du cul acrobatique, du cul gras, du cul extrême. La pédophilie dans Plateforme (Michel Houellebecq); les partouzes dans La Vie sexuelle de Catherine M. (Catherine Millet); la prostitution dans Putain (Nelly Arcand); la pornographie dans Hard (Raphaëlla Anderson) et dans Pornocratie (Catherine Breillat)…
Je baise, donc je publie.
Vous voulez écrire un best-seller? Vous n’avez qu’à suivre ces quelques règles de base.
1) Trouvez un fantasme particulièrement croustillant, et faites-en le sujet principal de votre livre. N’hésitez pas à sortir des sentiers battus: les gens veulent être choqués, culbutés. Plus on a une vie confortable, plus on a l’imaginaire en feu. On veut de l’inédit, de la chair fraîche. Sadomasochisme, nécrophilie, viols collectifs: mettez-en, c’est pas de l’onguent. Et profitez-en pour faire voyager votre lecteur, il adore sortir de chez lui, le lecteur, surtout pour visiter des endroits illicites où il n’oserait jamais mettre les pieds. Bordels de Saigon, donjons du Lower East Side, bars pour transsexuels, cellules capitonnées équipées des derniers instruments à la mode…
Surtout, n’épargnez aucun détail. L’homme contemporain est un fin gourmet qui adore cuisiner. Faites une Martha Stewart de vous-même! Donnez-lui la liste des ingrédients, la durée de cuisson, les accessoires nécessaires, et il préparera lui-même le plat à la maison afin d’impressionner ses convives. Daniel Pinard décrit les légumes comme s’ils étaient des organes sexuels, pourquoi ne pourriez-vous pas décrire un con comme si c’était une courge? Faites-nous saliver!
2) Entretenez l’ambiguïté. Rien de plus excitant pour les médias qu’un mystère, même s’il est fabriqué de toutes pièces. Signez de votre vrai nom, écrivez votre histoire au Je, mais haussez les épaules chaque fois que quelqu’un vous demande s’il s’agit d’une autobiographie. Dites que les artistes ont le droit de jouer avec la réalité, que les meilleurs romans trafiquent la fiction; bref, sortez des âneries, n’importe quoi pour alimenter les suppositions. Elle a été pute ou non, la Arcand? Il est pédophile ou pas, le Houellebecq? Bof, qu’importe… Une chose est sûre: moins vous en direz, plus les chroniqueurs parleront afin de combler le vide. Et plus votre livre s’envolera.
3) Insérez des bouffées de réel dans votre fiction, en utilisant des initiales, par exemple. J’ai baisé L. B., ex-éditorialiste bien connue. J’ai sucé D. B., célèbre animatrice à la télé publique. On s’est payé une partouze avec N. L., mais il a perdu sa moumoute au mauvais moment. Ces fausses pistes feront parler toute la ville, un triomphe garanti.
4) Choisissez un titre punch. Jouir, Hard, Putain. Tenez, moi, si j’écrivais un roman, il s’appellerait Bander. Bander, par Richard Martineau. C’est bien, non? Imaginez la campagne de pub: "Faites comme tout le monde, lisez Bander." "Bander, un livre dur." "Avez-vous Bander?"
Jean Fugère me demanderait: "Richard, dites-moi, l’homme derrière Bander, est-ce vous?" Je le regarderais en souriant, et ne dirais pas un traître mot. Juste un clin d’oeil entendu à Danielle Laurin. Et quand Marie-Louise Arsenault me poserait la même question sur l’autre réseau, je lui répondrais que sa mémoire est décidément bien courte, puis je quitterais soudainement le plateau, la laissant sonnée par tant d’insolence mais excitée à l’idée de voir les cotes d’écoute.
Et D. B., est-ce vraiment Denise…? Bof, oui, non, peut-être. Un amalgame, une parodie. Pile, c’est vrai; face, c’est faux. De toute façon, quel que soit le résultat, je gagne à tous coups.
J’irais au Salon du livre, et les gens feraient la queue pour acheter Bander. Tellement que Marie Laberge déciderait sur-le-champ d’insérer deux ou trois chapitres salaces dans son prochain roman. Je signerais les livres d’une façon nonchalante, assis sur un tabouret pour que les matantes puissent lorgner mon entrejambe. Et quand je leur remettrais leur exemplaire, je leur lancerais un mot cochon ou un clin d’oeil lubrique.
Mon éditeur viendrait trois fois dans ses culottes, et je rigolerais all the way to the sperm bank.
Vive la littérature.