Ainsi, le journaliste pigiste Ken Hetchman est revenu sain et sauf au Québec, après avoir passé quelques jours en captivité en Afghanistan.
Il venait tout juste de recouvrer sa liberté que, déjà, il s’en prenait aux Américains, "qui bombardent les mauvaises personnes".
Pour lui, les talibans sont des boucs émissaires, ni plus ni moins, et les frappes alliées sont totalement injustifiées. Quant à la semaine qu’il a passée aux mains des talibans, elle n’a pas été plus difficile que les huit fois où il a été emprisonné aux États-Unis à la suite de manifestations.
Il a été chanceux, Hetchman. Chanceux, mais aussi intelligent. Par exemple, lorsque ses geôliers lui ont demandé quelle était sa religion, il n’a pas dit qu’il était juif. Il leur a plutôt dit qu’il était catholique.
Ce mensonge pieux lui a probablement sauvé la vie.
Ils sont comme ça, les talibans. De chics types. Ils ont juste la fâcheuse tendance à tuer les juifs et à lapider les femmes qui ne respectent pas le Coran à la lettre.
À part ça, rien à déclarer.
***
Anne-Marie Dussault, la nouvelle présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ne doit pas s’ennuyer ces temps-ci. En effet, la profession qu’elle représente est aux prises avec plusieurs questions existentielles.
Premièrement, les questions découlant de l’affaire Lester.
1) Les journalistes peuvent-ils, oui ou non, prendre position publiquement sur des sujets aussi controversés que la question nationale?
2) Les journalistes ont-ils le droit d’émettre publiquement une opinion en dehors de leurs heures de travail, ou doivent-ils observer un devoir de réserve, comme les juges?
3) Et, plus fondamentalement: qu’est-ce qu’une opinion? Lorsque la journaliste Johanne MacDuff a critiqué l’attitude de la Croix-Rouge et de certaines instances gouvernementales dans son livre Le sang qui tue, sur l’affaire du sang contaminé, émettait-elle une opinion, ou tirait-elle tout simplement les conclusions qui s’imposaient au terme de sa très longue enquête?
N’est-ce pas le rôle des journalistes de calculer combien font 2 + 2? C’est bien beau, aligner les faits et les chiffres. Mais les journalistes ne doivent-ils pas aussi faire un travail d’analyse?
Je me souviens, peu de temps après que le journaliste Michel Auger s’était fait tirer par un motard dans le stationnement du Journal de Montréal, j’avais demandé au chroniqueur judiciaire Claude Poirier ce qu’il pensait de toute cette affaire. "Ce qui a mis Michel dans le pétrin, m’avait-il déclaré, c’est qu’il ne se contente pas de rapporter les faits. Il établit des liens entre les événements."
Mais n’est-ce pas justement le rôle des journalistes: tracer des lignes entre les points? Pourquoi certains journalistes pourraient-ils tirer des conclusions, et pas d’autres?
***
L’affaire Hetchman pose aussi d’excellentes questions sur le journalisme. Dont celle-ci, capitale: qu’est-ce qu’un journaliste?
Faut-il posséder une carte de presse dûment reconnue pour être considéré comme un journaliste, ou peut-on s’improviser reporter du jour au lendemain? Le journalisme est-il une profession ou un métier?
Belle question, à laquelle il est très difficile de répondre…
Tous les directeurs de l’information ont vécu cette expérience. Vous êtes tranquillement assis dans votre bureau climatisé, et vous recevez un courriel d’un inconnu qui vous propose un reportage sur la Palestine ou sur l’Afghanistan. L’homme n’a aucune formation en journalisme, mais il écrit bien, connaît les enjeux et semble digne de foi. Vous faites quoi?
Suffit-il de posséder un passeport et un crayon pour être journaliste? Si oui, on ouvre la profession à tous les casse-cou férus d’aventure. Les fils à papa blasés qui courent les pays en guerre pour s’amuser, les crackpots suicidaires qui trompent leur ennui en se jetant dans la gueule du loup, les dilettantes à la recherche de gloire instantanée…
Par ailleurs, si on ferme les écoutilles de la profession à double tour et que l’on ne réserve l’appellation de journaliste qu’à une caste accréditée, on risque d’étouffer…
Ken Hetchman était programmeur informatique. Mais le lendemain des attaques du 11 septembre, il a décidé de sauter dans un avion et de se rendre en Afghanistan afin d’écrire sur la situation. Mérite-t-il l’appellation de journaliste?
Difficile à dire. Plusieurs journalistes professionnels commentent la situation de leur bureau, en surfant sur Internet…
Ce n’est pas parce qu’on bosse à Radio-Canada qu’on fait nécessairement du bon travail. Et ce n’est pas parce qu’on n’est pas membre de la FPJQ qu’on est indigne de la profession. Tout ça est très relatif.
Bonne chance, madame Dussault. Je sens que vous allez bien vous amuser…