Ondes de choc

La Bourse des valeurs

"Je ne sais pas comment les résistants français ont fait pour garder le silence même sous la torture. Moi, on m’enlèverait ma carte de crédit, et je dirais tout."
– Woody Allen, dans Annie Hall
Un petit garçon qui apprend qu’il est un sorcier (Harry Potter). Une bande de nains qui partent à la recherche d’un anneau magique (Le Seigneur des anneaux). Des robots de l’espace qui tentent de vaincre un empire intergalactique (La Guerre des étoiles). Voici les héros qui feront courir les foules au cinéma au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Ces personnages ont un point en commun: ils croient tous en quelque chose qui les dépasse. Ils se battent non pour eux-mêmes, mais pour leur communauté. Et ils se sentent investis d’une mission fondamentale, mission qu’ils doivent mener à terme coûte que coûte, fût-ce au péril de leur vie.

Bref, ils ont la foi. Une foi inébranlable, capable de déplacer des montagnes… ou de détruire des forteresses ennemies.

Pas étonnant que ces personnages nous fascinent tant: ils sont tout ce que nous ne sommes pas. Ou plutôt, tout ce que nous ne sommes plus.

L’homme occidental, en effet, ne croit plus. Il ne croit plus en Dieu, il ne croit plus en la justice, il ne croit plus au paradis sur terre. L’amour de la patrie, la défense des valeurs démocratiques, le système électoral, tout ça le fait rigoler. Il regarde le monde en haussant les épaules. Tout, selon lui, mérite le sarcasme. Les curés sont tous pédophiles, les politiciens sont tous menteurs, les policiers sont tous crétins et les militaires sont tous fascistes. La réalité n’est qu’un gros punch line, un carburant à comiques.

Même en amour, l’homme a perdu ses illusions. Il ne recherche plus Mrs. Right, mais Mrs. Right Now.

Le sexe a remplacé l’amour; l’argent, l’honneur; le réseau, la famille et la célébrité, l’éternité.

Dans Le Déclin de l’empire américain, le chef-d’oeuvre de Denys Arcand qui a eu 15 ans cette année, un personnage explique que les empires commencent à décliner lorsque les citoyens perdent la foi dans les institutions (État, police, armée, etc.). C’est exactement ce qui nous arrive. Les scandales ont eu raison de notre confiance, et les découvertes scientifiques ont érodé notre foi.

C’est ce qui nous rend si faibles, si vulnérables.

Qui est prêt, aujourd’hui, à mourir pour ses idéaux? On ne se déplace même plus pour rendre hommage aux vétérans de la Deuxième Guerre, qui ont risqué leur vie pour libérer des pays qu’ils n’avaient jamais vus. Chaque année, ces hommes fiers et ridés organisent un défilé commémoratif; et chaque année, ils déambulent dans des rues vides. Les valeurs qu’ils ont défendues avec acharnement et courage nous semblent tellement acquises que nous ne levons même pas le petit doigt pour les protéger. Nous n’allons pas voter. Nous ne nous impliquons plus dans les affaires de la cité. Nous préférons le divertissement à l’information.

Nous laissons la défense de nos droits à des groupes de pression qui ne représentent que leurs membres.

Sur quel enjeu portera peut-être le prochain référendum québécois? La souveraineté? L’éducation? La santé? Non: les points d’impôts! Signe imparable d’une époque qui ne croit qu’en l’économie. Marx n’est pas mort, au contraire, il n’a jamais été aussi vivant. Tout, désormais, est analysé sous l’angle économique. Plus aucun problème qui ne puisse être réglé par un petit ajustement de la Banque centrale. Vous voulez soulager la souffrance des citoyens du Tiers-Monde? Appuyez le libre-échange! Vous voulez lutter contre la morosité post-11 septembre? Allez magasiner! Vous voulez éliminer la pauvreté? Donnez quelques sous lors de la prochaine guignolée! La vie de citoyen n’a jamais été aussi facile: il suffit de sortir sa carte Visa pour que tout rentre dans l’ordre. Bientôt, on pourra voter en pitonnant sur le guichet automatique de notre caisse pop.

Dans cette période hyper matérialiste, où seuls les terroristes assoiffés de sang semblent investis d’une foi inébranlable, Harry le sorcier, Bilbo le Hobbit et leurs amis nous rappellent que rien de grand ne se construit sans dépassement de soi.

Le message est touchant, et on ne peut plus actuel.

Et si tout va bien, il permettra aussi à Coca-Cola et à Burger King d’empocher des gonzillions de dollars.