Ondes de choc

Une lueur dans la grande noirceur

La vie a parfois le don de nous surprendre.

Vous pataugez dans la grisaille, vous avez le coeur dans l’eau, puis juste comme vous tournez le coin d’une rue, un moment de beauté capté par hasard vous redonne soudainement espoir.

C’est ce qui m’est arrivé vendredi dernier.

Je prenais le métro pour me rendre aux funérailles d’un de mes oncles, à Verdun. Le ciel était lourd, les gens étaient moches, j’étais complètement vanné. À la station Peel ou McGill, les portes se sont ouvertes, et un jeune couple est entré dans le wagon. Ils devaient être au début de la vingtaine, et ils étaient tous les deux aveugles.

Le garçon, qui maniait maladroitement une longue canne blanche, avait du mal à s’orienter. Il tenait la main de sa blonde, qui marchait d’un pas sûr malgré son handicap. Rendus à un banc, le gars s’est assis, et la fille a pris place sur ses genoux. Il l’a tendrement enlacée, et ils ont fait tout le trajet comme ça, collés l’un contre l’autre, s’embrassant doucement sans dire un mot, complètement coupés du reste du monde.

S’accrochant à leur amour comme à une bouée.

Je ne sais pas comment décrire ce que j’ai ressenti, ce que tous les passagers du wagon ont ressenti. On aurait dit une colombe qui se serait délicatement posée sur un tas de cendres. J’avais en tête les paroles de la chanson de Daniel Lavoie:

"Ils s’aiment comme avant / Avant les menaces et les grands tourments (…) / Enfants de la bombe / Des catastrophes, de la menace qui gronde (…) / Et si tout doit sauter / S’écrouler sous nos pieds / Laissons-les, laissons-les s’aimer…"

Comme tout le monde, j’ai les images du 11 septembre imprégnées dans le cerveau. Ces images tragiques, horribles ne me quitteront probablement jamais. Mais l’image de l’année 2001 que je veux retenir, ce n’est pas celle des deux tours du World Trade Center qui s’écroulent comme des châteaux de cartes, ni celle d’un avion de passagers éventrant un gratte-ciel; c’est celle-ci, ces deux amoureux qui s’accrochent l’un à l’autre pour mieux supporter l’obscurité.

Une image d’espoir, de sérénité.

La vie privée comme rempart contre le chaos.

Le silence comme réponse au vacarme.

Il était gris, le métro qui me conduisait au salon funéraire. Mais pendant une dizaine de minutes, deux amants qui ne verront jamais la lumière du jour l’ont illuminé.

Tourne la page
Il n’y a rien de plus difficile que de quitter un emploi qu’on aime de tout son coeur, de tout son être. C’est pourtant ce que je me prépare délibérément à faire.

En effet, à partir de cette semaine, Voir a un nouveau rédacteur en chef. Après neuf années de loyaux services à la barre de Voir Montréal, j’ai décidé de quitter mon poste de rédacteur en chef afin de relever de nouveaux défis.

Cette décision n’a pas été facile à prendre. Après tout, le journal ne s’est jamais aussi bien porté, et j’avais toujours la confiance de mon éditeur et des membres de mon équipe. Pourquoi quitter, alors?

Eh bien justement parce que tout baigne dans l’huile. Parce que le temps est idéal pour un changement de garde, et parce qu’un journal, s’il veut grandir et continuer de surprendre ses lecteurs, doit laisser le champ libre à la relève, ouvrir la porte à de nouvelles idées, à de nouvelles façons de faire.

J’ai donné le meilleur de moi-même à ce journal, et il me l’a bien rendu. Voir a fait de moi une meilleure personne. C’est d’ailleurs parce que j’aime tant cette publication que j’ai décidé de quitter mon poste à l’aube de mes 40 ans.

Je serai toujours reconnaissant à Pierre Paquet, président-éditeur de Communications Voir, de m’avoir donné ma chance et de m’avoir appuyé au cours de toutes ces années. Peu de gens auront autant compté dans ma vie personnelle et professionnelle. Je remercie également tous les membres de l’équipe de rédaction pour leur très grand professionnalisme, leur curiosité insatiable et leur extraordinaire sens de l’humour. Les réunions de rédaction du mercredi me manqueront terriblement. Et je voudrais saluer le travail des employés des autres départements qui, chacun de leur côté, mettent l’épaule à la roue pour assurer la croissance du journal. Ces gens travaillent peut-être dans l’ombre, mais leur boulot est tout aussi important et tout aussi respectable que celui des journalistes. Merci aussi aux pigistes qui, chaque semaine, participent à faire du journal ce qu’il est.

Si je quitte Voir aussi sereinement, c’est parce que je sais le journal entre bonnes mains.

Tommy Chouinard, chef de la section Actualité, est un journaliste passionné comme il s’en fait peu, capable de retrouver une aiguille dans une botte de foin les yeux fermés en pleine panne d’électricité à trois heures du matin.

Éric Taillefer, directeur des contenus de Communications Voir, est l’un des esprits les plus affûtés que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans ma vie.

Et Nicolas Tittley, le nouveau rédacteur en chef de Voir Montréal, est fait sur mesure pour ce poste. Entré au journal comme commis de bureau en 1990, Nicolas a grimpé un à un les échelons, devenant chef de la section Musique lorsque Laurent Saulnier, figure légendaire du journalisme culturel, est passé aux mains du Festival de Jazz. Jeune, curieux et extrêmement cultivé (il connaît autant ses classiques que la scène underground), il saura, j’en suis sûr, donner un nouveau souffle au journal.

Quant à moi, je continuerai de signer cette chronique, mais à titre de pigiste, dorénavant. Une décision qui m’est d’autant plus agréable que j’ai participé, avec Pierre Paquet, à l’élaboration d’un des meilleurs contrats de pigistes au Québec.

Il ne me reste maintenant qu’à remercier chaleureusement tous les intervenants du milieu culturel que j’ai eu la chance de côtoyer au fil des ans, et à vous souhaiter, à tous et à toutes, une excellente année 2002.

Comme on dit, on se reverra bientôt.