Ondes de choc

Santé!

Il y a quelques jours, on apprenait que le premier ministre Bernard Landry songeait à poursuivre la station radiophonique CIQC et le quotidien The Gazette pour avoir allégué que son épouse, Lorraine Landry, avait bénéficié d’un traitement de faveur lors de son passage à l’hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil, alors qu’elle souffrait d’un cancer. "Je n’ai jamais effectué de pression auprès du centre hospitalier", de dire monsieur Landry.

Le premier ministre (qui était alors vice-premier ministre et ministre des Finances) avait toutes les raisons du monde de poursuivre ces médias. Après tout, les journalistes ne peuvent pas alléguer n’importe quoi. Il faut des preuves pour avancer ce genre de choses, pas seulement des bribes d’informations provenant de sources non identifiées. Comme l’a écrit Jacques J. Samson dans Le Soleil, les politiciens ont les mêmes droits que tous à la protection de leur honneur et de leur réputation.

Bref, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas affirmer que monsieur Landry a effectivement effectué des pressions auprès de l’hôpital Pierre-Boucher pour que sa femme ait droit à un traitement spécial.

Mais entre vous et moi, pensez-vous qu’un ministre a besoin de faire des pressions en bonne et due forme pour obtenir un passe-droit? Croyez-vous que les membres importants du gouvernement attendent dans les corridors des hôpitaux comme n’importe quel quidam lorsqu’ils sont malades?

Ben voyons… Ils n’ont qu’à se pointer, et la machine va tout de suite se mettre en branle pour leur venir en aide et leur apporter les soins dont ils ont besoin. Congestion des urgences ou pas.

Nos élus ne cessent de répéter qu’il ne faut pas établir un système de santé à deux vitesses au Québec. Or, ce système existe déjà bel et bien, et ce, depuis fort longtemps.

Prenez les cliniques spécialisées dans les bilans de santé, par exemple.

Tous les médecins l’affirment: l’un des facteurs les plus importants dans la lutte contre la maladie, c’est la rapidité d’intervention. Diagnostiquer le mal le plus tôt possible. Plus vous attendez, plus vous éprouverez des difficultés à combattre la maladie qui vous ronge.

Or, pour avoir un bilan de santé complet, au Québec, il faut du temps, beaucoup de temps. Voir un omnipraticien, consulter une batterie de spécialistes, prendre rendez-vous, attendre pour passer ses tests, attendre pour recevoir les résultats… Le cancer a le temps de vous bouffer une partie de l’intestin.

Mais si vous avez du fric, vous pouvez lutter contre la montre et contourner les listes d’attente.

À la Place Ville-Marie et au Sanctuaire, entre autres, on trouve des cliniques privées hyper efficaces capables de vous faire un bilan de santé en moins de deux. En un avant-midi, les employés oeuvrant dans ces cliniques peuvent réaliser des tests qui nécessiteraient normalement entre 12 et 15 rendez-vous avec des médecins différents. Et pas seulement des analyses de sang ou d’urine, non: des tests de dépistage de la prostate, des tests de l’ouïe et de la vue, des tests de dépistage du cancer du colon, des électrocardiogrammes, des tests de VIH, des tests de la glande thyroïde, des échographies, des radiologies, des tests des fonctions pulmonaires, des rectosigmoïdoscopies… Bref, on vous analyse de la tête aux pieds.

Dans certaines de ces cliniques, on vous fait un rapport préliminaire verbal la même journée, et on vous communique les résultats des tests de laboratoire dans les 48 heures. Ça, c’est de la médecine à haute vitesse!

Mais il faut y mettre le prix: entre 600 et 850 dollars pour un bilan de santé complet.

Joe Blow peut-il se permettre de tels tests? Non. Alors il attend. Et il se croise les doigts, en espérant que la bosse qu’il a sur le ventre n’est pas dangereuse…

Sur le site Internet d’une de ces cliniques, on peut lire que "les gens d’affaires ont un agenda trop chargé pour attendre". Et les autres citoyens, alors?

Il y a quelques jours, j’ai parlé à une employée d’une de ces cliniques. Elle m’a dit compter plusieurs politiciens prestigieux parmi ses clients. Un ministre des Finances? Un premier ministre? La dame m’a souri…

Monsieur Landry a-t-il fait pression auprès de l’hôpital Pierre-Boucher? Franchement, je l’ignore. Mais une chose est certaine: le jour où notre premier ministre se posera des questions sur son état de santé, il n’aura pas besoin d’attendre six mois pour obtenir des réponses.

Normal: après tout, il faut être en forme pour lutter contre l’établissement d’un système de santé à deux vitesses.