Avez-vous regardé RDI lundi soir? Grands Reportages présentait une version française de The Road to Hell, une enquête fascinante sur les Hell’s Angels produite par l’équipe de The Fifth Estate il y a trois mois.
Le portrait de la situation brossé par la journaliste Hana Gartner est complètement déprimant.
On y apprend entre autres que les procureurs québécois chargés de poursuivre les motards criminalisés doivent se débrouiller avec le strict minimum. "Le gouvernement du Québec a investi cinq millions de dollars supplémentaires dans les forces policières, de dire un procureur de la Couronne, mais les avocats chargés de poursuivre les criminels manquent terriblement de ressources. Par exemple, il est important pour un procureur de connaître les jurisprudences s’il veut bien faire son travail. Or, regardez ma bibliothèque: le dernier recueil de jurisprudences qu’on y trouve date de… 1989! Et je ne peux même pas utiliser Internet pour me mettre à jour car je n’ai pas d’ordinateur! Comment voulez-vous que je fasse le poids contre la batterie d’avocats dont disposent les Hell’s?"
Les procureurs de la Couronne ont beau être talentueux et remplis de bonne volonté, si on ne leur donne pas les moyens de leurs ambitions, ils se retrouveront fatalement hors course. Comme Jacques Villeneuve au volant de sa BAR.
Beau système de justice…
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Faut-il se consoler? Toujours est-il que nous ne sommes pas seuls à patauger dans la vase. La situation est aussi pourrie en France. Un magistrat ayant passé sept années à enquêter sur les opérations de financement occultes du RPR (le parti de l’actuel président Jacques Chirac) a démissionné avec fracas en début de semaine car le gouvernement français l’empêchait de bien faire son travail.
"Les dossiers politiques sont exactement comme les dossiers mafieux, de dire le juge Éric Halphen, 42 ans. Personne ne parle. La France a un système de justice à deux vitesses. On soupçonne le président d’avoir fait bénéficier son parti d’argent public pendant des années, mais on ne peut pas enquêter sur lui."
Interviewé par le quotidien Libération, Dominique Barella, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats, donne raison au juge démissionnaire. "La profession est au bord de la rupture, dit maître Barella. Les magistrats qui traitent d’affaires mineures débitent leurs décisions à toute vitesse, mais dès que l’instruction touche les riches, on fait tout pour faire traîner en longueur. Si la situation n’évolue pas très vite, nous nous retrouverons dans un système policier où les pouvoirs judiciaires seront entre les mains du ministre de l’Intérieur."
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La situation n’est pas plus reluisante aux États-Unis. Mais cette fois, c’est le système financier et politique qui est en cause, à la suite de la faillite spectaculaire du géant de l’énergie Enron.
En effet, on a appris que les dirigeants d’Enron (100 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2001) avaient vendu leurs actions avant que l’entreprise ne pique du nez… alors que 21 000 employés du groupe, dont le fonds de pension était constitué à 60 % d’actions de la compagnie, ont tout perdu et se sont retrouvés le cul sur la paille.
C’est pas beau, ça?
Et on nous dira que les entreprises sont des personnes morales!
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Pourquoi je vous raconte ces histoires?
À cause de l’Argentine. Selon la plupart des observateurs, la crise qui secoue actuellement l’Argentine n’est pas seulement monétaire et financière, c’est une grave crise existentielle. Les Argentins n’ont plus confiance en leurs institutions, ils sont écoeurés de la corruption et des inégalités, et ils ont décidé de descendre dans la rue pour le crier haut et fort.
Lorsqu’on regarde ce qui se passe un peu partout à travers le monde, on est en droit de se demander si nous ne souffrons pas tous du syndrome argentin.
En effet, un État, c’est d’abord et avant tout un lien de confiance qui unit les citoyens et les institutions. Or, ce lien est de plus en plus ténu. Ce ne sont plus seulement les militants anarchistes qui dénoncent l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, mais la classe moyenne, les avocats, les cadres intermédiaires floués par leurs patrons… On a le sentiment que la machine ne fonctionne pas et que les dés sont pipés.
"J’ai l’impression que nous sommes au bord de la rupture", de dire le secrétaire du syndicat des magistrats français. C’est ce que je me répète tous les jours en écoutant le bulletin d’infos. Combien d’histoires de corruption et d’obstruction de la justice pouvons-nous encore entendre? Combien faudra-t-il de Gagliano pour bouger?
Jusqu’à quand le pacte social pourra-t-il tenir?