"Les amis de mes amis sont mes amis", dit le proverbe. Si c’est vrai, est-ce à dire que les ennemis de mes ennemis sont mes amis?
C’est en tout cas ce que croient les dirigeants du G7. On n’a qu’à regarder comment ils se comportent avec Vladimir Poutine pour s’en convaincre.
Considéré comme une menace pour l’Occident à son entrée au Kremlin (on l’associait aux communistes rétrogrades et aux seigneurs du crime organisé), l’homme fort de la Russie est maintenant la coqueluche du monde libre. Nos hommes d’État se font photographier à ses côtés, lui donnent des tapes sur l’épaule et ne cessent de vanter ses mérites. Jacques Chirac souhaite même qu’il participe à la prochaine rencontre de l’OTAN.
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Il faut dire que notre bon Vladimir a un as dans son jeu: la lutte antiterroriste. Depuis le 11 septembre, Poutine est devenu un allié important des États-Unis dans leur lutte contre les islamistes extrémistes installés en Europe de l’Est. En retour, l’Occident ferme les yeux sur les atrocités que l’armée russe commet en Tchétchénie. Scratch my back, I’ll scratch yours…
De Médecins du monde à Amnistie internationale, en passant par Human Rights Watch ou l’organisation russe Memorial, tous les organismes de défense des droits de la personne dénoncent les agissements de l’Armée rouge en Tchétchénie.
Des escadrons de la mort patrouillent les villages tchétchènes afin d’enlever et d’exécuter toute personne jugée suspecte. On pille, incendie, viole… À Argoun, troisième ville du pays, des hommes encagoulés se déplaçant dans des autos sans plaque d’immatriculation ont dynamité des maisons, tué et torturé des citoyens. Afin d’accélérer leur opération "nettoyage", les soldats russes dressent des chambres de torture ambulantes à l’entrée des villages, c’est-à-dire des tentes équipées de génératrices et de fils électriques. Une de ces tentes a même été "inaugurée" par un haut commandant de l’armée russe!
Les troupes de Vladimir Poutine n’hésitent pas à torturer et à tuer tout mâle âgé de 12 ans et plus. À Alkhan-Kala, six adolescents ont été assassinés et leurs corps mutilés ont été jetés dans une benne et montrés à la population. On emprisonne systématiquement les médecins pour les empêcher de soigner les malades. On torture les prisonniers tchétchènes en leur donnant des coups de marteau sur la colonne vertébrale. Sans parler des bombardements massifs sur les populations civiles.
Bref, c’est l’enfer.
Si le monde avait un tant soit peu de sens, Vladimir Poutine serait traduit devant les tribunaux pour crimes contre l’humanité. Au lieu de ça, Jean Chrétien et George W. Bush rigolent à ses côtés. Le 24 janvier dernier, le Conseil de l’Europe (qui est censé faire respecter les droits de l’homme sur le territoire de ses 43 États membres) a même refusé de sanctionner la Russie concernant sa conduite en Tchétchénie!
Un chausson avec ça?
Comme l’a affirmé Serguei Kovalev, président d’honneur de l’O.N.G. russe Memorial: "Le 11 septembre dernier, ben Laden a fait un cadeau personnel à Vladimir Poutine."
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On a beaucoup fait état de la fameuse poignée de main que se sont échangée le maire de Toronto et un membre des Hells Angels, il y a quelques semaines. Mais il y a des salutations autrement plus salopes, des amitiés autrement plus dégueulasses, des complicités autrement plus criminelles.
Les sourires que s’envoient actuellement les chefs d’État occidentaux et Vladimir Poutine, par exemple.
Gageons qu’il arrivera au président de la Russie ce qui est arrivé à Manuel Noriega ou à Saddam Hussein: il demeurera dans les bonnes grâces des États-Unis tant qu’il leur rendra service. Le jour où les Yankees n’auront plus besoin de lui, il deviendra soudainement l’ennemi public numéro un.
Et les démocraties n’auront plus alors qu’une obsession: lui couper la tête.
On n’apprend pas de nos erreurs, bordel. On n’apprend pas.