Ondes de choc

Si loin, si proche

"How can we dance when our Earth is turning
How do we sleep while our beds are burning?"
– Midnight Oil

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais chaque fois que je vois un reportage sur ce qui se passe au Proche-Orient, j’ai la trouille.

Avant, on pouvait se réconforter en se disant que ça se passait "là-bas", loin de chez nous, dans un pays où l’on ne mettra probablement jamais les pieds. Mais le 11 septembre au matin, la Terre a rapetissé dramatiquement. Maintenant, "là-bas", c’est dans notre cour. Et si le feu prend dans notre cour, notre maison risque d’y passer.

Je sais, ça peut paraître égoïste. Mais l’homme est fait comme ça: pour qu’une situation le révolte et le pousse à agir, il doit se sentir concerné, menacé, touché de près. Sinon, l’horreur lui paraît toujours abstraite.

C’est peut-être la conséquence la plus spectaculaire et la plus importante des attentats du 11 septembre: nous sortir de notre torpeur, et nous montrer qu’il n’y a plus de "là-bas". Que dans un monde hyper connecté où les biens, les gens et les idées circulent librement, il n’y a plus de différence entre "là-bas" et "ici".

On connaissait la mondialisation de l’économie. On connaissait la mondialisation culturelle. Ben Laden nous a fait connaître la mondialisation de la terreur.

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Chaque jour, la situation au Proche-Orient s’envenime. Les attentats sont de plus en plus sanglants, de plus en plus sauvages… Même Thomas L. Friedman, le chroniqueur du New York Times habituellement si calme et si posé, se dit lui aussi terriblement inquiet face à la récente tournure des événements.

Tous les éléments d’une crise majeure sont réunis, écrivait-il le 10 mars. Non seulement le discours extrémiste gagne-t-il du terrain en Palestine et en Israël, même chez les simples civils, mais les armes de destruction massive sont de plus en plus faciles à transporter et de moins en moins coûteuses.

Si nous ne réglons pas ce problème rapidement, nous risquons la catastrophe, dit-il.

Or, que faire avec le Proche-Orient? Par où commencer?

Difficile de répondre à cette question. Une chose, cependant, est sûre: il faut encourager les gens qui tiennent un discours modéré. Parmi eux, les membres de Yesh Gvul.

En hébreu, Yesh Gvul veut dire "Il y a une limite". Il s’agit d’un mouvement pacifiste regroupant plus de 200 réservistes israéliens qui refusent catégoriquement d’effectuer leur service militaire dans les territoires occupés.

Le 25 janvier dernier, 52 membres de Yesh Gvul ont fait paraître une pétition dans les journaux israéliens. "Nous continuerons à servir dans l’armée quand il s’agira de défendre l’État d’Israël mais pas dans des tâches d’oppression des Palestiniens et d’occupation de leur territoire, écrivaient-ils. La Cisjordanie et la bande de Gaza ne font pas partie d’Israël. Nous ne continuerons donc pas à nous battre pour elles. Nous ne continuerons pas non plus à nous battre au-delà de la ligne verte (la frontière qui, en 1967, séparait Israël et les territoires palestiniens) dans le but d’opprimer, d’expulser, d’affamer et d’humilier un peuple tout entier."

Ce texte, signé par de simples soldats et des haut gradés de l’armée israélienne, est historique. Fera-t-il boule de neige? Espérons-le.

Car tant qu’Israël occupera des terres qui ne lui appartiennent pas, aucun règlement ne sera possible.

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En 1994, le journal Le Monde publiait une série d’entrevues avec Yechayahou Leibovitz, un professeur israélien de 90 ans considéré comme l’un des plus grands experts en judaïsme (La Mauvaise Conscience d’Israël, Éditions Le Monde). Ce vieux sage respecté par les plus grandes autorités religieuses d’Israël ne mâchait pas ses mots à l’endroit de son pays. "Tant que l’occupation continuera, disait-il, des Palestiniens installeront des voitures piégées et nous tuerons des enfants. En refusant de reconnaître les droits légitimes du peuple palestinien, c’est nous, les Israéliens, qui nous rendons responsables de toutes les horreurs commises."

Que prônait le professeur Leibovitz pour lutter contre les excès de l’État israélien? L’objection de conscience. "Les devoirs de l’homme envers Dieu passent avant ses devoirs envers l’État, affirmait-il. Surtout quand il s’agit de l’État d’Israël, qui domine par la violence deux millions de personnes et les prive de leurs droits civiques…"

Voici un croyant qui ne laisse pas sa foi l’aveugler.

Il y en a trop peu comme lui. Malheureusement…