Ondes de choc

Les cyclo-cons

Ça y est, le printemps est enfin arrivé.

Les signes annonciateurs sont tous là. La course à logements bat son plein. Les crottes de chien dégèlent. Et les cyclistes commencent à faire des conneries.

La semaine dernière, j’ai croisé mon premier cyclo-con.

Je descendais la rue Saint-Denis lorsqu’un cycliste, qui avait décidé de ne pas faire son stop, est soudainement apparu devant mon auto. J’ai dû freiner brusquement pour ne pas le frapper. J’ai klaxonné afin de lui faire signe qu’il était dans le tort, et le twit à deux roues m’a montré son majeur.

Chaque année, c’est pareil.

Parce qu’ils ne polluent pas l’environnement, les cyclistes se croient tout permis. Pas de stop. Pas de feu rouge. Pas de sens interdit.

Et allez que je remonte une rue qui descend.

Et allez que je me crisse au beau milieu de la voie.

Et allez que je zigzague follement entre les autos.

Et si jamais un bolide me frappe, je crierai aux nazis et logerai une plainte à l’ONU.

Jacques Bergeron, professeur au Département de psychologie de l’Université de Montréal, a effectué une étude sur le respect de la signalisation routière par les cyclistes. De mai à novembre 1999, son équipe (associée au Centre de recherche sur les transports) a observé les agissements des cyclistes à 14 intersections de la ville. Le chercheur a découvert que seulement 25 % des cyclistes daignent poser le pied par terre aux panneaux d’arrêt, et qu’à peine 60 % des adeptes du vélo respectent les feux pour cyclistes.

C’est peu.

Sur le site Internet de Vélo-Québec, on peut lire cette phrase:

"L’étude de Jacques Bergeron confirme que les cyclistes ne sont pas des saints. Mais affirmer qu’ils sont un fléau et qu’ils ne respectent jamais la signalisation serait faire injure aux nombreux cyclistes (61 %) qui suivent scrupuleusement le code de la route."

Effectivement, les cyclistes ne sont pas tous des dangers publics. Mais entre vous et moi, avec un taux de respect de 61 %, il n’y a pas de quoi pavoiser. Que dirait-on si on découvrait que le code de la route était suivi par 61 % des automobilistes? Applaudirait-on des deux mains? Dirait-on qu’ils sont tout de même nombreux?

La loi, pourtant, est claire: le code de la route qui s’applique aux automobilistes s’applique aussi aux cyclistes. (Le passage qui suit doit être découpé et collé sur tous les frigos de Montréal.)

Il faut circuler à l’extrême droite de la chaussée dans le même sens que la circulation. Il faut se conformer aux feux, signaux et panneaux de circulation. Il ne faut pas rouler entre deux rangées de véhicules circulant sur des voies contiguës. Il est interdit de s’engager à l’envers sur une voie à sens unique. Si vous vous préparez à effectuer un virage, vous devez signaler clairement votre intention. Vous devez munir votre vélo d’équipement de visibilité, afin que l’on puisse vous voir la nuit. Vous n’avez pas le droit de circuler avec un baladeur sur les oreilles. Et vous n’avez pas le droit de rouler sur le trottoir.

Quant aux automobilistes, il y a aussi des règles de base à respecter.

Prenez garde avant d’ouvrir votre portière. Faites attention lorsque vous sortez d’une entrée privée. Ne coupez pas les cyclistes. Et cessez de vous conduire comme si vous étiez les seuls maîtres à bord: l’époque où la route n’appartenait qu’aux véhicules motorisées est révolue.

Voilà. C’était me petite contribution personnelle à un éventuel cessez-le-feu entre automobilistes et cyclistes.

Et si le malaise persiste entre les deux groupes, je contacterai Bill Clinton et j’organiserai un camp David au parc La Fontaine.

***

La semaine dernière, dans mon hommage à Moulin Rouge (texte qui semble avoir irrité les cinéphiles qui croient qu’un chef-d’oeuvre ne doit pas compter plus de 30 plans par heure), j’écrivais que le génie d’Albert Camus était d’avoir écrit L’Étranger au passé simple. Il fallait bien sûr lire: au passé composé. Dans son essai Pour un nouveau roman, Alain-Robbe Grillet consacre d’ailleurs une belle phrase sur le sujet: "Prenons L’Étranger. Il suffit d’en changer un peu le temps des verbes, de remplacer cette première personne du passé composé par l’ordinaire troisième personne du passé simple pour que l’univers de Camus disparaisse aussitôt, et tout l’intérêt de son livre."

Idem pour le film de Buz Lhurman. Sa forme n’est pas une entrave au contenu. Elle est le contenu.