Ondes de choc

Piquez-vous pour la patrie!

Les voies du patriotisme sont parfois impénétrables.

Prenez les États-Unis, par exemple.

Quelques jours après les attaques du 11 septembre, le président George W. Bush a affirmé que la meilleure façon d’aider le pays était de sortir et de dépenser. "Fréquentez les restaurants et les bars, prenez l’avion, faites rouler l’économie! Montrez aux terroristes que nous n’avons pas peur d’eux, que la vie continue et que nous savons encore nous amuser…"

Remplir sa carte de crédit à pleine capacité était devenu l’acte patriotique suprême. Et vivre chichement, une véritable trahison! L’avenir du monde libre reposait dans les mains d’American Express et de Visa, rien de moins. Terminée, l’époque où la surconsommation était honteuse. C’était la simplicité volontaire qui avait désormais mauvaise presse…

Or, maintenant, si l’on en juge par les récents développements, il faudrait se geler la bine pour sauver le monde libre! C’est du moins ce qu’un article du New York Times nous laisse penser…

Le 1er avril, le vénérable quotidien a publié un très long reportage sur la nouvelle récolte d’opium en Afghanistan. On apprenait que les fermiers afghans, enfin libérés des terribles talibans (qui avaient imposé un moratoire sur la culture des drogues, faisant passer la production d’opium de 4042 tonnes en 2000 à 82 tonnes en 2001), avaient recommencé à planter de l’opium dans leurs terres.

Résultat: on estime que dans deux mois, lorsque les plants auront atteint la maturité, l’Afghanistan redeviendra l’un des plus gros producteurs d’héroïne au monde, capable d’inonder les États-Unis, l’Allemagne et l’Angleterre d’une véritable marée de poudre blanche.

Or, que font les autorités américaines? Rien.

Le gouvernement Bush a décidé d’y aller mollo sur la lutte contre la drogue en Afghanistan, même si l’ONU sonne l’alarme. La raison est simple: les fermiers afghans n’ont rien d’autre à faire pousser. Si on les empêche de faire pousser de l’opium, il y aura une crise économique, et s’il y a une crise économique, le nouveau gouvernement risque d’être déstabilisé. Donc, on a décidé de fermer les yeux et de laisser les Afghans redevenir les plus gros pushers de l’Occident. C’est ce qu’on appelle la realpolitik: faire preuve de pragmatisme et mettre de côté ses beaux idéaux afin d’atteindre plus rapidement ses objectifs.

"La lutte au terrorisme est devenue notre priorité, de dire les porte-parole du gouvernement. Avant même la lutte contre la drogue."

Lorsque les talibans ont interdit la production d’héroïne l’an dernier, afin de plaire aux gouvernements occidentaux et ainsi s’acheter une légitimité, des milliers de fermiers afghans ont quitté le pays pour s’installer au Pakistan. Or, c’est exactement ce que l’on veut éviter aujourd’hui. Alors, on permet aux agriculteurs afghans de faire pousser ce qu’ils veulent, afin qu’ils restent chez eux, paient leurs dettes et fassent rouler l’économie…

Poussons ce raisonnement plus loin.

Si l’Afghanistan fait pousser des plants d’opium, c’est pour en vendre. Pas de junkies, pas de vente; pas de vente, pas de fric. Donc, la meilleure façon d’aider l’implantation de la démocratie dans cette lointaine partie du monde est de s’acheter de l’héro et de s’en shooter dans les veines!

D’un côté, le gouvernement américain harcèle les petits consommateurs de drogues douces. De l’autre, il aide les gros producteurs de drogues dures! Cherchez l’erreur…

Au dernier Super Bowl, le gouvernement U.S. a diffusé des messages-chocs établissant des liens entre la drogue et le terrorisme. "Chaque fois que vous achetez de la dope, vous aidez un réseau terroriste", de dire ces pubs. Or, maintenant, le New York Times nous apprend que c’est le contraire: on permet aux fermiers afghans de faire pousser de l’opium justement pour chasser les terroristes!

C’est mon ami Michel Trudeau qui a attiré mon attention sur le reportage du New York Times. "La lutte contre la drogue passe maintenant au second plan, m’a-t-il écrit dans son courriel. Et la lutte contre la connerie, elle occupe quel rang? Elle est sûrement très loin derrière. Car si on lutte trop vigoureusement contre la connerie, on risque de faire du mal à nos alliés stratégiques…"

Pas étonnant que des illuminés croient qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone. Plus on s’informe, plus on a l’impression que la réalité n’est qu’une illusion.

Exactement comme dans le film The Matrix.

Et si la réalité est un mensonge, alors tous les menteurs passent pour des prophètes…